Olivier Russbach

QODS KADOSH CADUC

Sur les pages Qods Kadosh Caduc

seront mis en ligne quelques essais pour une étude

sur l'introduction à la philologie du conflit israélo-palestinien,

notamment :

 

- 181/242 : L’équité dans le droit du conflit israélo-palestinien

- Jérusalem Est-Ouest : un enjeu européen

- Le testament de Jacob

- Simon-Pierre, l’improbable jeu de mots

- Le prince Edward

- Le nom Palestine

- Les Kushi et autres malentendus linguistiques

- La shoah et la nakba

 

*

On peut lire déjà, en miroir des trois lettres qui forment Qods Kadosh Caduc,

- une ébauche de Qana Kana Cana, ou Le nom transformé en levain, étude sur l'usage militant et émotionnel fait du Cana du Nouveau Testament pour dénoncer les bombardements de la ville libanaise de Qana,

50 km plus au nord ;
 

- une réflexion sur l'invention des concepts de « Grand Israël » et de « Capitale éternelle »

dans l'étude intitulée La Lettre et la loi ;


- une interrogation sur le sens réel des noms de Cisjordanie ou West Bank.


 

 

 

 

Dans les pages Qods Kadosh Caduc, le « conflit israélo-palestinien » est appréhendé dans son écriture et sa lecture. Comment écrit-on ce conflit ? Comment le lit-on ?

     L’expression « conflit israélo-palestinien » y est souvent placée entre guillemets, non par ironie, pour nier l’existence de ce conflit, la mettre en doute ou prendre quelque distance avec sa réalité ; mais pour décaler la question. Sur ce site, nous ne parlons pas vraiment du conflit, et il n’est pas certain que ce qui se dit ailleurs sur et autour du « conflit israélo-palestinien » concerne ce conflit, voire même concerne au premier chef les Israéliens et les Palestiniens.

     La philologie du conflit israélo-palestinien s’articule autour des trois mots Qods Kadosh Caduc, les deux premiers disant la sainteté, le saint, en arabe et en hébreu, le troisième le regard de l’Europe chrétienne sur la sainteté d’Israël et la Charte de l’OLP.

     Si la langue ne ment pas, comme l’a démontré avec force Victor Klemperer, il n’est pas un hasard :

1) que le mot « caduque » tombe sous la plume de l’Épiscopat français qui, dans la foulée de Vatican II, écrit en 1973 : « On ne saurait déduire du Nouveau Testament que le peuple juif a été dépouillé de son élection (…) La première Alliance n’a pas été rendue caduque par la nouvelle » ;

2) que le même « caduque » soit soufflé ensuite par le chef de la diplomatie d’un pays européen (Roland Dumas, ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand) à Yasser Afarat qui cherchait ses mots pour dire à l’Institut du Monde arabe que l’OLP ne poursuivrait plus la destruction d’Israël ;

3) que le mot intervienne enfin dans les livres de droit international pour désigner le régime de tutelle et autres statuts d’internationalisation de villes, en revanche étrangement remis en vigueur pour Jérusalem.    

 

Caducités

 

      Qods est très connu, très investi par l'écriture palestinienne. Il est la translation de Kadosh, qui n'est pas seulement un film sur la prétendue intolérance du droit familial israélien. Les deux mots sont formés sur la racine q-d-s qui indique la sainteté.

      Appeler, en Europe, Jérusalem al Qods est un acte de militantisme qui ignore que Jésusalem s'appelait ir ha kadosh, c'est-à-dire al qods, quand on y parlait l'hébreu, deux mille ans avant Omar.

     « Caduc » ne signifie pas saint en européen, et n'est pas vraiment forgé sur la racine q-d-s, mais - au-delà de la phonétique a priori facile, il est vrai - le lien s'impose car « caduc » intervient souvent dans le récit israélo-chrétien, israélo-européen.

 

      L’Histoire retiendra-t-elle que Yasser Arafat est passé de l’ombre à la lumière (du Caire où il est né à New York où les journaux inventeront l’Arafat Day) entre 1964 et 1974, décennie au cours de laquelle s’emboîte presque parfaitement (entre 1965 et 1973) les positions dans lesquelles l’Église admet, du bout des lèvres en 1965, un peu plus sérieusement en 1973, que le peuple d’Israël n’est pas responsable de tous les crimes dont il avait été accusé, notamment le prétendu « déicide » ?

      Mettons des mots sur ces dates.

 

 

Les caduques de l'Église et de l'OLP

 

      En 1964, la Charte de l’OLP nie le droit d’Israël d’exister en tant qu’État : « Le partage de la Palestine en 1947 et l'établissement de l'État d'Israël sont entièrement illégaux, quel que soit le temps écoulé depuis lors, parce qu'ils sont contraires à la volonté du peuple palestinien et à son droit naturel sur sa patrie et en contradiction avec les principes contenus dans la charte des Nations unies, particulièrement en ce qui concerne le droit à l'autodétermination» (art. 19) ; « (...) Les prétentions fondées sur les liens historiques et religieux des juifs avec la Palestine sont incompatibles avec les faits historiques et avec une juste conception des éléments constitutifs d'un État. Le judaïsme, étant une religion, ne saurait constituer une nationalité indépendante. De même, les juifs ne forment pas une nation unique dotée d'une identité propre, mais ils sont citoyens des États auxquels ils appartiennent » (art. 20).

      En 1965, le Concile Vatican II écrit d’Israël qu’il est « ce peuple avec lequel Dieu, dans sa miséricorde indicible, a daigné conclure l’antique Alliance » ; Israël n’a pas reconnu l’évangile chrétien mais « du fait d’un si grand patrimoine spirituel, commun aux chrétiens et aux juifs, le Concile veut encourager la connaissance et l’estime mutuelles ». Pour ce qui est de la responsabilité des juifs dans la mort de Jésus, et « encore que des autorités juives, avec leurs partisans (y) aient poussé, ce qui a été commis (...) ne peut être imputé ni indistinctement à tous les juifs vivant alors ni aux juifs de notre temps » ; ainsi, « s’il est vrai que l’Église est le nouveau peuple de Dieu, les juifs ne doivent pas pour autant être présentés comme réprouvés par Dieu ni maudits comme si cela découlait de la sainte Écriture ».

      En 1973, l’Épiscopat français propose ainsi, dans ses orientations de « mise en œuvre » de la déclaration vaticane de « cesser de représenter le juif suivant des clichés qu’une agressivité séculaire avait forgés », « représentation caricaturales et indignes » et de renoncer « à ce qu’une exégèse très ancienne mais contestable (avait) soutenu » jusqu’ici : « on ne saurait déduire du Nouveau Testament que le peuple juif a été dépouillé de son
élection » (...) « la première Alliance n’a pas été rendue caduque par la nouvelle ».

      Nous pouvons examiner ces textes dans « Nostra Ætate » et nous demander si, après la lecture des vies et procès de Jésus tels que pouvaient les raconter au XXe siècle, dans les traces des anciens (Pascal, Spinoza, Hegel, Renan), un François Mauriac « écrivant à genoux » des propos très catholiques sur la question, un Eric-Emmanuel Schmitt plus anti-juif dans son Évangile selon Pilate que les quatre évangiles officiels réunis, ou un Jean-Marc Varaut donnant l’onction du juriste engagé à « la responsabilité des hiérarques juifs » et plaidant la relaxe de Pilate qui « a démasqué l’intention mauvaise des accusateurs ». Nous conclurons provisoirement que, comme le dit encore l’Épiscopat, « il n’est pas possible de réexaminer en un jour toutes les affirmations qui ont été proférées dans l’Église au cours des siècles ni toutes les attitudes historiques ».

      La lecture parallèle des textes catholiques et palestiniens, puis onusiens, jette une lumière nouvelle sur les écritures que nous tentons de lire. Car il s’agit bien d’écritures (avec sa minuscule, bien sûr), de langage.

 

Le cercle caduc

 

      Le « caduque » de l’Église intervient quinze ans avant celui d’Arafat. La formule est négative pour l’Épiscopat (« la première Alliance n’a pas été rendue caduque par la nouvelle »), positive pour Arafat (la disposition de notre Charte visant la destruction d’Israël « est – comment dites-vous ? – caduque »).

     Dans les deux cas, est caduque l’attitude en vigueur jusqu’au moment du prononcé du mot : « Nous ne dirons plus », « Nous ne ferons plus ».

     Au moment où l’Église change de cap - ou le souhaite en tout cas, car Dieu sait que les ondes de ses radios chrétiennes (Radio Notre Dame, Fréquence Protestante, Radio Courtoisie) et ses télévisions musulmanes, bruissent encore du « déicide » -, l’ONU semble prendre la relève. « Les Nations » choisissent un vocabulaire biblique pour dénoncer Israël en décembre 1973, condamnant une « alliance impie », le mot révélant son parti pris religieux dans sa traduction française (on note dans « Interpolation » que  unholy alliance pouvait s’entendre de façon profane comme alliance contre nature).

     Le « caduque » d’Arafat a encore le même effet que celui de l’Épiscopat dans les médias pressés, comme l’Église, de harceler Israël : « Bon, maintenant qu’on ne veut plus vous détruire, donnez nous des signes positifs ». Ainsi le journaliste Amnon Kapeliouk raconte qu’Israël tarde à donner un « signe positif » suite au Conseil national palestinien d’Alger en novembre 1988 qui aurait jeté les bases d’une reconnaissance implicite d’Israël.

     Et le juriste international Jean-Pierre Colin, interrogé en 2006 par le journaliste Thierry Guerrier sur l’opportunité pour Israël de discuter avec des mouvements prônant sa disparition, alors le Hezbollah et le Hamas, observe : « C’était le cas de l’OLP jusqu’à Oslo. Donc il faut voir que les choses évoluent. Il faut les voir dans leur perspective historique, dans leur évolution dynamique ».

     Pour le professeur de droit international, l’évolution de l’OLP va s’appliquer au Hezbollah, puis au Hamas, est ainsi de suite, aux petits Hezbollah et petits Hamas. La « dynamique » de pareil processus ne semble être enrayée que par Israël si l’on en croit la conclusion présentée sous forme de question : « Comment (en sortir) si Israël ne négocie pas avec des partis qu’il ne reconnaît pas ? », croit pouvoir demander en effet Thierry Guerrier, qui venait de souligner que lesdits partis ne reconnaissaient eux-mêmes pas Israël.

 

Le caduc du droit international

 

     Pour qui étudie le régime de corpus separatum recommandé par l’ONU en 1947, rejeté d’emblée par les parties concernées (les deux), rendu vide de sens et de réalité dès la guerre de 1948-49, il convient se s'interroger sur sa remise en selle permanente dans les milieux militants européo-palestiniens au motif qu’il serait « toujours en vigueur » alors qu'il est, à son tour, largement considéré comme « caduc ».    

     Ce régime implique la notion de tutelle (le Conseil de tutelle des Nations unies devait administrer Jérusalem et plus largement Jérusalem-Bethléem selon ce que proposait la résolution 181), de gouvernorat ou directoire.

     Ces notions sont critiquées comme réminiscences malheureuses du système antérieur des mandats, que les experts présentaient avec la distance critique qu’il convenait d’avoir à l’égard du colonialisme et dont ils annonçaient, dès les années 1980, la mise au rang de curiosité géopolitique à seul intérêt historique.

      « Dans un très proche avenir, l’étude de la tutelle internationale n’aura plus qu’un intérêt historique », notait ainsi en 1985 le Commentaire de la Charte des Nations unies ; la disposition de la Charte fixant les objectifs du régime de tutelle était en effet « appelée à brève échéance à tomber en désuétude »[1].  Les objectifs poursuivis par la Charte de l’ONU en matière de tutelle étaient d’ailleurs « en filiation directe » avec ceux du Pacte de la SDN sur le mandat, « la même philosophie politique » inspirant les deux dans un même souci de « mission civilisatrice » ou « mission sacrée », dénonçaient les professeurs de droit quand les dictionnaires grand public retenaient eux-mêmes que le système onusien de la tutelle avait en effet été introduit dans la Charte de l’ONU « en remplacement du mandat »[2].

 

L'exception de Jérusalem

 

      C’est cette institution néanmoins – dont le nom « tutelle » (en anglais trusteeship) est plus paternaliste que celui de mandat et souligne davantage la dépendance, l’incapacité, que l’administration, la gestion – qui se trouve expressément en arrière-fond légal du corpus separatum régulièrement évoqué pour Jérusalem par le militantisme contemporain – corpus separatum dont le statut chaotique en droit international doit lui-même être souligné, puisque le mot « caduc » tombe sous la plume des experts.

      Dans l’édition 1994 du Nguyen Quoc Dinh, du nom de son premier auteur, l’un des grands classiques du droit international public en France, maintenu à jour par les professeurs Patrick Daillier et Alain Pellet, Jérusalem apparaît en effet dans la section « Villes internationalisées » aux côtés de Cracovie (administrée conjointement par l’Autriche, la Prusse et la Russie en vertu du Traité de Versailles de 1815), Tanger (sous administration de la France, du Royaume Uni et de l’Espagne de 1923 à 1956), Dantzig (Gdansk) qui devait servir de port à la Pologne jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, et Trieste, que le même ouvrage considère comme « débouché portuaire naturel de l’Europe danubienne sur la Méditerranée occidentale » [3].

      La liste était exhaustive et les auteurs présentaient alors (1994) « l’internationalisation de certaines villes » comme une « réponse, aujourd’hui caduque, à des controverses territoriales aiguës ».

      La contextualisation est différente dans l’édition de 2002 qui incorpore les modifications de statut liées à l’évolution de l’ancienne Yougoslavie et ajoute ainsi Mostar à la liste des villes internationalisées. La ville de Bosnie-Herzégovine dont le célèbre pont venait d’être détruit passa provisoirement sous tutelle européenne en 1994 et les rédacteurs de l’ouvrage durent introduire ce sixième exemple par une concession à la caducité qu’ils avaient constatée, ironiquement dans l’édition du même millésime : « Bien que (le statut de ville internationale) ait pu sembler caduc (…) », rectifient-ils.

      Le recours lui-même à l’internationalisation devenait une « solution historiquement située, fonction de rapports de force conjoncturels ». Le paragraphe concernant Jérusalem n’était guère modifié entre les éditions de 1994 et 2002, sinon que l’économie générale de l’ouvrage plaçait, dans celle de 2002, une section consacrée à l’Autorité palestinienne immédiatement après celle des Villes internationalisées qui se terminait, pour sa part, sur le cas de Jésuralem [4].

 

      On voit combien le mot « caduc » poursuit Israël. Que le recours à l’internationalisation des villes soit dit « caduc », puis passe de « caduc » à « historiquement situé » dans le langage du droit international examiné ici, nous permet sans doute d’ajouter une dimension à notre tentative d’étudier la philologie du « conflit israélo-palestinien ».

      Car, à la réflexion, même dans l’édition de 1994, Jérusalem ne semblait pas bénéficier entièrement de la caducité qui désignait alors le statut juridique de « ville internationale ». « Depuis la résolution (181), de nombreuses résolutions ont préconisé un régime d’internationalisation de Jérusalem ou des Lieux-Saints », écrivaient en effet les rédacteurs du Nguyen Quoc Dinh ; mais « les circonstances politiques ont interdit jusqu’ici le moindre pas dans cette direction ».

      Le lecteur du paragraphe « Villes internationalisées » est conduit à observer qu’aucun pas n’avait été fait de 1947 à 1994 dans la direction d’une solution de droit présentée par ailleurs comme caduque, ce qui paraît, sinon bien en soi, du moins relativement raisonnable ou cohérent. Mais on doit aussi conclure de cette formulation que la solution de ville internationale était jugée « caduque » sauf pour Jérusalem, où elle demeurait un « pas interdit par les circonstances politiques », un pas qu’il ne serait donc pas interdit de franchir, si l’on ose le risque polysémique en cascade du pas interdit ; un pas qui resterait autorisé, souhaité et même « préconisé ». Jérusalem serait ainsi appelée à faire un pas vers le caduc, un caduc qui ne le serait pas pour elle, comme si la capitale de Juda en 135, d’Israël aujourd’hui, était poussée jusque dans les ouvrages de droit international au célèbre « deux poids deux mesures » que les mêmes ouvrages ne manquent souvent pas d’illustrer d’exemples puisés dans la politique de l’État d’Israël contemporain.

      Car, si la tutelle de Mostar était d’emblée provisoire - et le fut, de fait comme de droit -, le pas préconisé pour Jérusalem vers une solution « caduque » et/ou « historiquement située » s’inscrit au contraire dans la durée, la capitale d’Israël devenant de ce fait une capitale éternellement internationale, capitale de l’universel et de l’Univers, urbs æterna romaine et sans frontières.

 

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1. Cf. respectivement : Guillaume Pambou Tchivounda (commentaire de l’article 75) et Maurice Glele-Ahanhanzo (commentaire de l’article 76) in Jean-Pierre Cot et Alain Pellet (dir.), La Charte des Nations unies. Commentaire article par article, Economica et Bruylant, 1985, 1991.

2. Cf. respectivement, Cot et Pellet, La Charte des Nations unies, op. cit., commentaire de l’article 76 ; Le Grand Robert de la Langue française, 2000, article « tutelle ».

3. Cf. Nguyen Quoc Dinh, Patrick Daillier, Alain Pellet, Droit international public, L.G.D.J., 5e édition, 1994, p. 441-442.

4. Cf. Nguyen Quoc Dinh, Patrick Daillier, Alain Pellet, Droit international public, L.G.D.J., 7e édition, 2002, p. 458-459. Nous n’avons pas consulté la sixième édition (1999) ni la huitième, annoncée pour la rentrée universitaire 2007, repoussée à janvier 2008 et restons dans l’ignorance du traitement réservé par l’Europe au Kosovo, pour lequel était proposé à l’automne 2007 le statut d’« indépendance supervisée par l’ONU ».