Olivier Russbach

PHILOLOGIE DU DROIT ET DES CONFLITS

Pour les meilleurs philologues, le philologue est simplement un bon lecteur. C’est en ce sens modeste que ce site voudrait appréhender la philologie du droit. La bonne lecture du droit conduit à s’interroger sur son écriture.

 

Cela a commencé très tôt. La mauvaise lecture du droit, conduisant aux pires interprétations du droit, se trouve dans l’une des premières scènes du récit biblique, très juridique s’il en est puisque l’écriture médiatique et militante y voit la « faute originelle ». Le rusé serpent déstabilise Eve en lui disant : « Ainsi, vous n’avez le droit de manger d'aucun arbre du jardin !? » - « Euh... », commence-t-elle à expliquer, comme pour se défendre ou défendre son état de droit, au lieu de « Non, ce n'est pas vrai ! ». Pensant devoir répondre à un interdit exagéré, elle entre en débat. C'est ici l'exagération de l'interdit qui nous retient, pas la suite ; bien connue même si pas toujours bien interprétée.

 

Cette exagération est le fruit de la ruse : « Le serpent était l'animal le plus rusé », indiquent la plupart des traductions, « le plus sournois » disent quelques-unes, « le plus fin » ou « le plus astucieux », assurent les plus méchantes. Or, à question sciemment faussée, réponse ambiguë et surtout, entrée en débat :

- « Non, pas de tous les arbres, répond Eve, seulement de celui-ci »

- « Ah bon, et pourquoi... !? », relance l'autre.

 

Cela s’est poursuivi sur le même terrain de la fausse qualification avec le christianisme, dont la faute originelle aura été d’imposer son dieu au récit juridique. Car, déjà que la terminologie du droit était forcée avec l’idée d'un procès de Jésus en pleine fête de Pessah, ces « trois jours » qui hantaient anachroniquement le Pilate d'Eric-Emmanuel Schmitt, celle du « déicide » que l'Eglise devait mettre en place plus tard qualifiait un crime alors bien improbable.

 

La philologie du droit impose au lecteur de l’histoire de noter qu’avant même d’examiner les responsabilités en cause dans un acte donné, la qualification de l’acte doit être assurée. Or, le mot déicide pour l’acte de tuer un prophète ne correspond pas au crime dénoncé. En l’an 33 de l’ère qui deviendra chrétienne, l’homme que Pilate aurait jugé n’était pas Dieu. S’il devait l’avoir jamais été, la décision n’en aurait - en tout état de cause - été prise que trois cents ans plus tard, par décret romain dont la rétroactivité n'est pas établie.

 

Déicide, shoah, nakba, talion seront ici l’objet d’une étude de philologie du droit et des conflits. Et des conflits en effet, car le récit d’un problème juridique donné influence assurément la perception que l’on peut avoir d’un conflit.

 

Les mêmes erreurs de traduction, souvent volontaires, sont à l'oeuvre dans le récit d'événements plus concrets et plus actuels que ceux dont nous nous sommes inspirés plus haut. Mais les conséquences peuvent en être aussi perverties que la faute de présentation peut en être perverse.

 

En lien avec la communication juridique, que nous étudions dans une autre section de ce site, on observe que, d'un même document juridique, on peut faire une arme différente selon le nom qu'on lui donne. Ainsi en est-il, par exemple, des avis consultatifs de la Cour internationale de justice, qui - comme leur nom l'indique - ne sont pas des jugements : « La Cour peut donner un avis consultatif sur toute question juridique, à la demande de tout organe ou institution qui aura été autorisé par la Charte des Nations unies ou conformément à ses dispositions, à demander cet avis », lit-on en tête de la section du Statut de la Cour concernant cette compétence-là, qui se distingue de celle que la Cour exerce dans le cadre de différends entre États.

 

Parmi les avis les plus importants qui sont cités dans ces pages, deux concernent la légalité des armes nucléaires : ils sont peu connus et peu commentés en dehors des spécialistes ; trois concernent des conflits encore très présents dans l'actualité : les deux plus récents se penchent sur la légalité de la déclaration d'indépendance du Kosovo (2010) et la légalité du mur de protection construit par Israël (2004) ; le troisième - du même ordre mais plus ancien - se prononce en 1975 sur la question du statut du Sahara occidental, encore occupé par le Maroc.

 

La présentation des avis de la Cour sur ces « questions juridiques  » sera différente selon que l'écriture médiatique et militante souhaite renforcer la valeur de l'opinion des juges, évoquant alors une décision, un arrêt ou un jugement, ou au contraire la minimiser, laissant dans ce seul cas à l'avis son caractère expressément consultatif. La perception du droit et l'aiguisage du conflit en seront dépendants.