Olivier Russbach

LA LETTRE ET LA LOI

        Deux expressions très présentes dans le récit médiatique et militant du « conflit israélo-palestinien » illustrent davantage l’agacement des locuteurs que la réalité politique, juridique et textuelle : il s’agit du « Grand Israël » que convoiterait l’État hébreu (I), et du statut de « capitale éternelle » que sa loi fondamentale aurait attribué à Jérusalem (II). 
        Ces deux expressions ne sont pas israéliennes, encore moins juives ou bibliques. Elles sont fabriquées de l'extérieur, puis attribuées à Israël pour le lui reprocher. Une étude linguistique et juridique en retrace l'historique à l'instar de ce qui est proposé pour l'usage militant du nom Cana.


 

I. « Grand Israël »

 

         L’expression hébraïque eretz Israel, francisée lorsqu’elle est écrite eretz Israël avec un tréma, parfois étatisée lorsque la typographie évoque Eretz Israël avec un E majuscule, est souvent présentée comme synonyme de « Grand Israël ». Par un jeu d’écriture mettant l’une entre parenthèses à côté de l’autre, on en arrive à penser (parfois à faire penser) qu’eretz signifie « grand ».

         Ainsi en est-il, par exemple, de la parenthèse explicative suivante : « Dans les années 1970, surgirent en Israël des partis nationalistes extrêmes qui réclamaient avec des accents messianiques un “Grand Israël” (Eretz Israël) au sein de frontières justifiées, selon eux, par le passé biblique »[1].

         Frédéric Encel et Maurice Thual participent à la confusion en écrivant de la même façon typographique

« Eretz Israël (Terre promise) ». L’ajout entre parenthèses induit un lien de définition inexistant : eretz ne signifie bien sûr pas plus « promise » qu’Israël ne signifierait « terre », pas même « Terre »[2]. Ces auteurs estiment que « les notions israéliennes de patrie et de nation (ont été) rendues complexes par l’ambivalence du judaïsme et par les interprétations parfois divergentes qu’il (le judaïsme) donne d’elles (la patrie et la nation) à travers la Bible (...)[3] », ce qui est peut-être davantage le fait d’une lecture occidentale et chrétienne qui s’engouffrerait dans les nuances et richesses d’une langue, ici l’hébreu, sans doute ambivalente, nullement ambiguë pour installer sa critique.

         L’idée erronée d’un « grand Israël » assimilé à un « Israël biblique » dans des « frontières bibliques » est généralement reprise par les médias populaires : « Le grand Israël est Israël dans ses frontières bibliques », explique avec assurance Bernard Guetta aux auditeurs de France inter ; Ariel Sharon est passé « du Grand Israël au désengagement des colonies de la bande de Gaza », titre sur six colonnes Le Figaro ; « pour la première fois, Israël s’est retiré de ce qu’on appelle le Grand Israël », confirme Gwanaëlle Lenoir aux téléspectateurs de France 3 [4]… ; à la marge des grands médias, l’émission géopolitique d’Arte Le Dessous des cartes évoque, elle aussi, sous les traits bien connus d’une grosse Palestine englobant Saïda et Amman, un territoire que les évangéliques américains soutiennent car « il se rapproche des limites de l’État hébreu telles qu’elles étaient vues par la Bible »[5], et Charlie Hebdo, sous la plume pourtant d’une experte en monothéismes, assure que « les Loubavitch entendent peser sur les choix politiques d’Israël afin de garantir les frontières de la Terre promise, et donc d’accélérer le retour du messie »[6] … quand les Loubavitch (« le mouvement le plus structuré du judaïsme orthodoxe », précise l’hebdomadaire) n’attendent assurément pas « le retour » du messie mais sa venue, le retour (ou parousie, deuxième venue) étant un concept exclusivement chrétien[7].

 

Le cadastre dans le journal

 

         L’écriture médiatique et militante qui se réfère avec une telle assurance à cette fameuse « terre biblique » dont elle prétend dessiner les frontières en même temps qu’elle accuse Israël de lire la Bible comme un cadastre ignore qu’Israël au sens non exclusivement politique – les autorités rabbiniques et halakhiques qui interprètent la loi d’Israël (peuple) depuis bien avant la proclamation de l’État moderne d’Israël en 1948 – discute l’appartenance de tel ou tel territoire à la terre d’Israël.

         Plusieurs décisions théologiques ou juridiques juives (halakha ou responsa) se sont penchées sur la question des frontières d’Israël, qui n’est au demeurant jamais dit ni « grand », ni « petit » dans les textes bibliques et juridiques anciens ou contemporains. La « bande de Gaza », en particulier, telle que cette portion de la région philistine de l’époque biblique est appelée aujourd’hui, ne fait pas partie d’Israël selon divers avis halakhiques exprimés depuis plusieurs siècles, publiés en hébreu et disponibles en français, le cas échéant sous forme résumée : « Ashkelon et vers le sud, ce n’est pas eretz Israel », énonce ainsi une responsa (une opinion juridique) de 1597, fondée sur l’expression encore antérieure de la michna, une position qu’aurait rejointe Maïmonide au XIIe siècle de l’ère chrétienne[8].

         Les opinions citées sur ce point par la revue Kountras distinguent précisément les périodes de la promesse (Abraham), de la conquête (Josué) et du retour d’exil (Ezra).

         La terre au temps de la promesse est la plus large et comprend ce qui est appelé aujourd’hui « bande de Gaza », mais la conquête ne couvre pas l’ensemble de la terre visée dans la promesse, notamment pas la « bande de Gaza », et la question reste ouverte de savoir si, au retour de Babylone, les Judéens (Iehudim) ont occupé ou non ce que les Hébreux sortis d’Égypte n’avaient pas conquis.

         Si l’opinion négative (« la bande de Gaza n’est pas terre d’Israël ») est débattue et contestée, comme il est d’usage en matière d’opinions juridiques, le simple fait que la question soit posée en termes de loi juive et qu’elle ne soit pas unanimement tranchée devrait interdire l’évocation d’un improbable « cadastre biblique », que pareil concept soit le fait d’Israéliens contemporains qui prétendraient aujourd’hui que Dieu leur a donné telle ou telle portion de terre, ou de militants anti-israéliens qui prétendraient qu’il existe quelque chose comme une « frontière biblique » que les plus orthodoxes « ne veulent pas lâcher ». Le télévangéliste nord-américain Pat Robertson qui a raconté que l’attaque cérébrale dont Ariel Sharon a été la victime en janvier 2006 était une punition de Dieu pour avoir évacué Gaza et ainsi « morcelé la terre divine » ne connaît pas, lui non plus, l’état de la halakha sur ce qu’il prétend pouvoir appeler « terre divine »[9].

         Selon le philosophe Yeshayahu Leibowitz, un doute existe aussi sur Akka, plus connue sous son appellation Saint-Jean-d’Acre, qui ne serait pas Terre d’Israël selon la loi d’Israël[10].

 

         Si l’on suit les trois grands temps du récit biblique esquissé par Kountras, on distingue :

- 1) le temps du premier pacte fait en Gn 15,18 avec Abraham, encore Abram, encore sans enfants, dans lequel Dieu donne et même « a donné » (décision prise, don passé) à la descendance d’Abram (qui viendra) la terre qui va du Nil à l’Euphrate, une « terre promise idéale » selon le Dictionnaire de la Bible Laffont (catholique)[11] ;

- 2) le temps de la confirmation du pacte telle qu’elle est faite à Moïse, qui débouchera sur la terre conquise, nettement moins vaste ;

- 3) le temps du retour où eretz Israel est une « grande Judée », un « petit Israël » en termes contemporains.

         Même quand le Deutéronome dessine les contours les plus larges de la terre désignée aux Hébreux – les annotateurs des versions chrétiennes croyant pouvoir assurer sous Dt 1,7 que « la Palestine y est décrite dans sa plus grande extension » quand bien même le nom Palestine n’a pas encore été inventé par l’occupant romain de Juda[12] –, les descriptions bibliques de ce qui est bien sûr « la terre de Canaan » et deviendra « Israël », jamais « Palestine » dans le texte biblique, ne sont pas assorties de frontières ou de plans d’occupation du sol au sens où voudraient les lire, faire lire et voir lire les tenants d’un prétendu « cadastre biblique », qu’ils soient, nous l’avons dit, Israéliens contemporains revendiquant pareil concept ou anti-Israéliens prétendant qu’Israël lui-même opère aujourd’hui une lecture notariale de la Loi[13].  

 

Le grand complexe

 

         Le réflexe d’assimilation entre eretz et grand, eretz et trop grand, eretz et promesse biblique est fréquent dans les médias qui traduisent ou expliquent volontiers eretz Israel (le tréma français est déjà une altération de l’expression hébraïque) par « le Grand Israël ». On peut en signaler un exemple intéressant dans un entretien conduit en français pour le journal Libération avec l’historien israélien Ilan Greilsammer, parfaitement bilingue[14].

         À l’automne 2005, Greilsammer présentait le retrait israélien de Gaza comme le déclencheur de bouleversements politiques intérieurs en Israël et indiquait que le démantèlement des implantations israéliennes avaient eu lieu « dans une terre considérée par beaucoup comme faisant partie de la Terre de la promesse ». Il y avait là, selon lui, un renoncement à « la chimère d’Eretz Israël », comme l’écrivait le quotidien qui précisait pour sa part ce qu’était censé entendre son invité par eretz Israel : « (le Grand Israël biblique, ndlr) ». Une fois observé que, dans son esprit, c’est l’expression littérale de la Bible qui sort du passage de l’hébreu au français, et non l’expression « terre promise », on revient au prononcé eretz Israel par Greislammer, qui ne traduit pas. La majuscule à « Terre de la promesse » renvoie sans doute à la culture (religieuse ou athée) du journaliste ou de son copiste, celles que portent « Eretz » puis « Grand » sont superfétatoires d’autant que l’historien israélien dit bien, en français, « chimère d’eretz Israel » en non « chimère du Grand Israël biblique ».

         Translittération de l’hébreu, l’expression eretz Israel ne peut être écrite qu’avec un e minuscule pour eretz et sans tréma pour Israel : toute modification, ici par la forme d’institutionnalisation de Eretz par une majuscule du type de celle que l’on met en français au mot « État » lorsqu’on parle de l’institution, et la francisation du nom Israël, dit déjà que le transcripteur modifie la pensée du locuteur. Il y ajoute en réalité la sienne[15].

         On trouve le même type de parenthèse explicative dans le Monde diplomatique de novembre 2000 sous la plume de Marius Schattner, présenté comme « spécialiste de la politique israélienne et correspondant de l’AFP à Jérusalem » : le « Grand Israël biblique » de Libération y devient « toute la Palestine ». Intervenant en effet sur une citation de David Ben Gourion (« J’ai toujours fait la différence entre eretz Israel et un État en eretz

Israel »), le journaliste lui fait écrire : « J’ai toujours fait la différence entre Eretz Israël (le Grand Israël, c’est-à-dire toute la Palestine) et un État en Eretz Israël »[16].

         La même association, assortie de la notion de « colonies sauvages », est proposée dans le texte lu d’un documentaire diffusé sur la chaîne France 5 : « Shimon Peres s’est toujours opposé aux colonies sauvages (qui voulaient créer) un Grand Israël sur toute la Palestine »[17]

         Donnant pour sa part à lire un article du journal Haaretz en traduction française, Courrier International interjette également un improbable « Grand Israël » dans l’écriture du journaliste israélien qui, citant Joseph Trumpeldor, figure du sionisme, tué en 1918, ne pouvait traduire eretz Israel autrement que par « terre d’Israël » et n’avait au demeurant pas besoin de le faire pour son lectorat israélien. C’est donc le lecteur francophone que Courrier International conduit par la main en traduisant Trumpeldor via Haaretz : « Nous aurons besoin de gens prêts à tout pour Eretz Israel (le Grand Israël). Nous devrons créer une génération désintéressée, flexible mais ferme comme l’acier (...) »[18].

         Le Monde présente lui aussi généralement l’expression eretz Israel comme signifiant « Grand

Israël »[19] et, à l’instar de Marius Schattner pour l’AFP et Le Monde diplomatique, les politologues Agnès Levallois et Sophie Pommier estiment que « Grand Israël » signifie « ensemble de la Palestine » lorsqu’elles évoquent « une vision du Grand Israël qui placerait sous (la) souveraineté naturelle (des Israéliens) l’ensemble de la Palestine »[20].

         Dans un long article pour le Monde des religions, la journaliste Jennifer Schwarz, par ailleurs auteur de livres pointus sur le judaïsme - dont en 1998 un Ruth, manuel de la femme juive (« que le Consistoire de Paris remet à tous les nouveaux mariés », précise son éditeur) - laisse, elle aussi, à penser que « le ‘’Grand Israël’’ biblique » est une réalité. Reproduisant un titre utilisé peu avant par Le Monde 2, un autre organe du groupe, Le Monde des religions du 7 janvier 2010 entend, il est vrai, publier une « enquête » sur « ces colons religieux qui défient la paix »[21]. Le chapeau de l’article de Jennifer Schwarz explique ainsi que « les sionistes religieux constituent un obstacle majeur à la paix avec les Palestiniens, en défendant l’idée du ‘’Grand Israël’’ biblique ». Le corps de l’article est moins précis lorsqu’il évoque « les sionistes religieux (estimant) qu’ils ont non seulement un droit, mais avant tout un devoir de conserver le ‘’Grand Israël’’, soit l’ensemble des territoires et pour toujours ». Aucune référence à la bible dans cette expression peut-être tronquée dès lors qu’elle ne précise pas l’ensemble des territoires de quoi, et ajoute un « pour toujours » qui fait écho au concept fabriqué de « capitale éternelle » que nous étudions un peu plus loin. 

 

         Ces quelques lignes, déjà, nous conduisent à nous méfier de l’adjonction « grand », une adjonction qui n’est parfois pas le fait de celui à qui est reproché un trop grand, et qui traduit souvent le ressentiment ou sentiment d’injustice que veut faire passer celui qui ajoute cette dimension.

         Il faut savoir qui dit « Grande Syrie », « Grand Liban », « Grande Serbie » ou « Grand Israël » avant de dégager et mesurer l’intention qui se trouve dans l’expression et nous souvenir combien grands et démesurés sont les espaces principaux à partir desquels on fustige le prétendu « Grand Israël ».

 

Les immenses

 

         Parmi les très grands qui raillent le prétendu « Grand Israël », on pense notamment :

- à l’Europe laïque qui, au XXIe siècle, peine à connaître ses frontières et « semble trébucher devant l’exigence de fixer ses propres limites géographiques », selon l’expression du président de la Fondation Robert Schuman[22]. Une expression amusante du président français Nicolas Sarkozy, selon lequel « la taxe professionnelle n’existe nulle part partout en Europe » disait aussi le malaise à distinguer entre le tout ou rien cher à l’Europe tentaculaire. Sur une autre échelle, le président de la Région Île de France Jean-Paul Huchon expliquait qu’à la Conférence de Copenhague sur le climat, il y avait (notamment, imagine-t-on) « Arnold Schwartzeneger pour la Californie, moi pour l’Europe » ;

- à la Oumma qui revendique « les limites de la terre » comme seule frontière[23] ;

- dans la Oumma, à la Syrie, dont le Parti populaire considérait que le territoire historique s’étendait des confins du Sinaï à la Mésopotamie incluse jusqu’au Mont Taurus au Nord (« acception géographique » retenue par le militantisme palestinien) et rivalisait ainsi avec l’espace du Nil à l’Euphrate décrit en Gn 15,18-21[24]  ;

- à la Palestine de la première OLP (1964) qui, à l’article 2 de sa première Charte, est décrite comme « unité territoriale indivisible dans les frontières du mandat britannique » (incluant à son origine une partie de la Transjordanie), une revendication au demeurant peu crédible lorsque le même document conteste en son article 20 toute légitimité au mandat qu’elle déclare « nul et non avenu » et qui ne saurait en conséquence sérieusement avoir donné à « la Palestine » des frontières ;

- à l’Église catholique dont le nom dit l’univers entier et dont l’objectif est le baptême généralisé : volontiers sarcastique sur la prétendue « lecture de la Bible comme un cadastre », que ferait selon lui l’État d’Israël (et non seulement les colons sans frontières), le dominicain fribourgeois alors directeur de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem interrogeait le journaliste du Monde, lui-même censé l’interroger sur « le tissu de mythes et de légendes » que serait la Bible (hébraïque il s’entend, car ni le Monde ni son invité ne contestent le récit du Nouveau Testament) : « Est-il raisonnable de réduire la Bible à un cadastre ? De couler l’Israël d’aujourd’hui dans les frontières de la promesse à Abraham, “du Nil à l’Euphrate” (Genèse 15) ? »[25].

         Dès lors que cette « frontière » (si tant est que Dieu ait parlé à Abraham – encore Abram – en ces termes) n’a jamais vraiment été celle d’Israël, ni hier ni aujourd’hui, la prétendue question du patron de l’École biblique et archéologique française n’a aucun autre objectif qu’alimenter, pour Le Monde, la hantise d’un (trop) grand Israël. « Israël d’aujourd’hui », pour le dire comme Jean-Michel Poffet, ne revendique rien qui aille « du Nil à l’Euphrate », et il n’est guère souhaitable d’examiner le caractère « raisonnable » de quoi que ce soit à l’aune d’une proposition sans fondement[26].

 

La raison d'Eretz

 

         Le philologue doit s’interroger sur la propension de l’écriture médiatique et militante de l’histoire à voir plus de grand et de trop grand en Jacob-Israël qu’en Esaù-Rome-Bruxelles ou Ismaël-La Mecque-Oumma, jusque dans les fêtes religieuses, où le « Grand Pardon » – création cinématographique – ne semble avoir aucun équivalent de type Grand Noël ou Grand Ramadan[27]

         D'autant que, dans cette brèche linguistique, s’engouffre un discours plus méchant.

         Ainsi, dans son Crime occidental, violente contribution à l’anti-sionisme anti-juif en vigueur en Europe au début du XXIe siècle, l’économiste Viviane Forrester confond à dessein Eretz Israël et État d’Israël. Selon elle, une fois répété tout au long de l’ouvrage que « le malheur avait joué un rôle déterminant dans la décision des Nations unies de reconnaître l’État d’Israël » (p. 80 passim) ou que « le martyr (des juifs) et la dette (des Européens) qui en découlait avaient servi d’arguments essentiels, efficaces, pour obtenir des Nations unies la création de l’État d’Israël » (p. 85), propositions fausses dans chacun de leurs termes (voir notamment : « L’État “créé par l’ONU” »), Forrester note une différence entre juifs sionistes et juifs rescapés : les sionistes veulent une patrie, les rescapés un refuge. Elle déteste les sionistes-patrie et plaint les rescapés-refuge : les sionistes-patrie invoquent un passé trop ancien pour elle, les rescapés-refuge correspondent au schéma compassionnel du crime occidental qu’elle prétend dénoncer.

         Là intervient le glissement sémantique opéré entre eretz et État car, selon Viviane Ferrester, les juifs-patrie n’aiment pas les juifs-refuge : « Les juifs survivants des camps européens, les rescapés du nazisme, furent dès leur arrivée mal accueillis dans la nation nouvelle, en principe leur » ; car, « pour les sionistes israéliens, Israël n’avait pas vocation de refuge, mais celle d’une patrie retrouvée, revendiquée comme un dû immémorial. L’existence d’Eretz Israël (soit : la terre d’Israël) garantissait à leurs yeux le signe que c’en serait fini des juifs victimes et passifs, toujours subissant »[28].

         L’ambiguïté de Viviane Forrester est volontaire : bien qu’associée à sa définition exacte – « (soit : terre d’Israël) » –, l’expression « Eretz Israël » est prise ici comme synonyme d’État d’Israël et « l’existence d’Eretz Israël » (garantie pour le futur) signifie bien l’existence de l’État d’Israël, nullement l’existence de la terre d’Israël, une existence indépendante de l’État qui se trouve dessus, – cela d’autant plus que l’ouvrage entier mis sur le métier par Forrester consiste précisément à asseoir l’idée que l’Ouganda et toute autre solution étrangère à la terre d’Israël aurait pu et dû prévaloir.

         On trouve un autre Eretz proche du concept d’État remontant à des faits de l’époque du royaume de David et Salomon en 2006 dans un livre sur l’armée israélienne. Pierre Razoux – que son éditeur présente, il est vrai, comme « spécialiste des conflits contemporains » – mentionne en effet, à la date de 930 environ avant l’ère chrétienne, « la scission du royaume israélite d’Eretz Israël en deux royaumes distincts : Israël au Nord et la Judée au Sud »[29]. Figurant dans une chronologie qui distingue une « période antique » (de Josué à Hadrien) et une « période contemporaine » (de 1882 à 2006), la rubrique concernant la séparation du royaume d’Israël est imprécise. Il n’y avait bien sûr rien de tel qu’un « royaume d’Eretz Israël » au moment du schisme entre Israël et Juda. L’expression mélange la période antique et la période contemporaine en donnant au royaume d’Israël un nom fabriqué autour du concept vicié d’eretz Israel, « la Judée », elle-même concept qui vient du latin et donc de l’occupation romaine, traduisant guère mieux ce qu’était le royaume de Juda.

         Inexacte et ambiguë est encore la mention du Dictionnaire encyclopédique Brepols (1987) selon laquelle « aujourd’hui encore, l’État hébreu s’intitule fièrement eretz Israel, “la Terre d’Israël” »[30]. Dans les usages militants, on peut aussi lire sous la plume de Yasmina Hamlawi, consultante en droit international, l’idée que eretz Israel recouvre « tous les territoires qui ont, à un moment ou l’autre, fait partie d’un des royaumes juifs à l’époque du Premier et du Second Temple, c’est-à-dire, en plus de la Palestine, une partie importante de l’actuelle Jordanie »[31].

         Pour ajouter à la confusion, on trouve autant d’eretz Israel censés signifier « tout Israël » que d’eretz Israel censés signifier « toute la Palestine » : Madeleine Rébérioux illustre cette difficulté sémantique en évoquant dans la Revue d’études palestiniennes, un colon « convaincu que les juifs ont droit à tout Eretz Israël ». Du moins cette expression donne-t-elle corps, peut-être inconsciemment, à un renversement de perspective : ce serait les juifs qui doivent partager eretz Israel (ne pas rester convaincus d’avoir « droit à tout Eretz Israël ») et non les Palestiniens qui doivent partager le Palestine, comme la terminologie onusienne la posé en 1947 (ne pas rester convaincus d’avoir droit à « toute la Palestine »)[32].

 

Eretzland

 

         Eretz ne signifie donc ni « grand », ni « promis », ni « État ».

         Eretz, qui intervient près de deux mille cinq cents fois dans la Bible hébraïque, signifie « terre » dans le sens de surface terrestre (earth en anglais) par opposition à « ciel » – en Gn 1,1 Dieu a créé le ciel (ha-shamaïm) et la terre (ha-eretz) – et par opposition à la matière-terre, la glèbe ou adamah qui, dans la Bible, sert à former l’homme, ainsi nommé Adam ; eretz signifie aussi « sol » ou « pays » (land), acception dans laquelle s’est inscrit le journal israélien Haaretz (« Le Pays »), grand journal sans doute mais pas parce que eretz serait synonyme de gadol.

         Eretz Israel signifie d’abord « terre d’Israël », « pays d’Israël », concepts variables selon les contours que peut avoir la terre sur laquelle se trouve, en un temps donné, le peuple d’Israël.  

         Eretz Israel n’est pas en soi une expression biblique déterminante et, lorsque Dieu donne la terre ou rappelle son don de la terre, la Torah utilise souvent le terme adamah, ce qu’elle fait également pour l’expression « terre de sainteté », ou « sol de sainteté », devenue « terre sainte », expression aujourd’hui mal connue et mal maîtrisée (voir ici : Terres saintes). Ainsi la terre donnée à Abram en Gn 15,18 est une terre territoire (eretz), mais la même terre, ou partie de la même terre, est terre glèbe (adamah) en Nb 32,11 pour signifier à la génération des Hébreux qui, au retour de la mission d’explorateurs, n’en avait pas voulu, qu’elle ne la verra pas, punie de quarante ans de désert[33]. Entre-temps, les limites ou frontières du territoire concerné (au demeurant différentes de celles que l’on trouve en Gn 15,18) sont indiquées à Moïse en Ex 23,31-33 et forment une terre-territoire (eretz) qui redevient adamah en Dt 11,21 ou Dt 26,15[34].

         Dans les livres historiques, une fois le peuple plus ou moins installé sur la terre dont il a été question dans le Pentateuque, eretz traduit souvent une réalité géographique ou politique. Il est alors rendu par « terre » ou « pays » par les traducteurs. C’est dans ces livres que l’expression eretz Israel intervient comme telle[35]. Mais le mot et le concept ne sont nullement réservés à Israël : la Bible utilise eretz en relation avec Canaan, l’Égypte ou les peuples et terres ravagés par les Assyriens (2R 19,17). On y rencontre plusieurs fois l’expression « eretz Palestine », plus précisément eretz Pelishtim (traduite par « terre des Philistins » depuis le passage du Pi au Phi par les Septante)[36].

         L’expression biblique qui pourrait définir eretz Israel au sens où on l’entendrait aujourd’hui serait sans doute « de Dan à Beer Sheva », du point le plus au nord au point le plus au sud : « Tous les enfants d’Israël sortirent comme un seul homme de Dan à Beer Sheva »[37].

         Après le schisme, et par définition la mise entre parenthèses d’une terre d’Israël, le pays est souvent désigné dans la Bible par les noms Israël et Juda puis, au retour d’exil, Juda. Eretz Israel reprend son sens politique sous les Asmonéens (Maccabées) et dans la diaspora après l’expulsion des juifs par les Romains. Politiquement, cependant, le pays dont les juifs ont été expulsés en 135 était Juda, la Judée pour les Romains, en latin Judaea (Judaea capta) et non eretz Israel.

         Si des pièces de monnaies portaient déjà le nom shekel Israel en hébreu durant la révolte du peuple de Juda contre les Romains, le nom qu’Hadrien voulut rayer de la carte était bien celui de Juda non celui d’eretz Israel, même si l’on sait que les deux noms sont liés par le fait que, du retour de Babel à la guerre d’Hadrien, Israël (peuple) vit en terre de Juda (pays) : en rayant de la carte Juda, Hadrien entend toucher Israël. Mais « la Judée » est elle-même eretz Israel, terre d’Israël, terre sur laquelle vit Israël, y compris au début de ce qui deviendra l’ère chrétienne et dans les termes de Matthieu qui, au moment où il fait rentrer Jésus d’Égypte, après la mort d’Hérode, le fait renter « en terre d’Israël » (Mt 2,19-20). 

         Seule l’écriture médiatique et militante, souvent plus chrétienne que les évangiles eux-mêmes, raconte que Jésus est né en Palestine, que Bethléem (aujourd’hui palestinienne) était en Palestine au moment où Jésus y est né[38].

         Eretz Israel est resté le nom du pays, de la terre (adama et eretz confondus, imprécise dans ses contours) dans la narration historique, dans les textes du Talmud, dans les récits personnels jusqu’à ce que l’association entre le nom du peuple et le nom du pays retrouve sa réalité par le choix du nom Israël fait en 1948, sur une portion de territoire qui n’avait alors rien à voir ni avec la situation politique de 135, ni avec celle d’aujourd’hui, ni encore avec les textes bibliques.

         Si en 1948, quelques heures seulement avant la proclamation de l’État comme en témoigne le blanc laissé sur le texte original du discours de Ben Gourion, Israël ne savait pas encore sous quel nom il se proclamerait (on hésitait entre Ever, Juda et Israël), l’expression eretz Israel était restée en effet dans les consciences et en usage au cours des années d’exil et pendant la première période du retour : le nom du parti MAPAI de Ben Gourion, créé en 1930, contient les mots eretz Israel[39]. L’État se proclame en eretz Israel et devient eretz Israel sans se soucier de sa superficie.

         C’est dans ce contexte qu’on entend Ben Gourion établir une distinction entre « eretz Israel et un État en eretz Israel » ; ce que les juifs appellent eretz Israel en 1948 est alors « minuscule et biscornu, découpé en trois tronçons », selon ce qu’en retient en 2001 un journaliste du Monde[40].

 

La frontière d’Eretz

 

         À la fausse assimilation entre eretz Israel et « grand Israël », l’écriture médiatique et militante ajoute parfois, par lapsus ou ignorance, « le poste frontière d’Eretz » en prononçant mal le nom de la ville d’Erez (érèze comme Éphèze ou falaise). On entend notamment « le poste frontière d’Eretz » dans les journaux dominicaux de Véronique Pèlerin sur France culture, et on le découvrit dans la bouche de Madame Hessel au détour d'une visite dans la Bande de Gaza qu’elle effectuait en juin 2009 avec son mari, Stéphane Hessel, par ailleurs président d’honneur du Tribunal Russel pour la Palestine : le couple étaient « arrivés à Eretz », dit-elle très distinctement[40bis].         

         L’amusante chaîne de télévision française Canal Plus, pour sa part, proposait, le 8 janvier 2009, un direct d’Erez en incrustant à l’écran les mots  « Heretz (Israël) ». Tout est dit.

         Eretz seul s’entend enfin, étrangement, dans un reportage d’Uri Schneider, correspondant d’Arte en Israël, qui aurait comme gommé Israël en ouverture d’un documentaire sur « Des colons américains en Israël », comme il l’avait titré. Ces « colons américains », donc, viendraient « en Israël »… pour « trouver leur salut en Eretz ; et qu’importe que ce soit aujourd’hui un territoire palestinien »[40ter]. On laisse à notre lecteur le soin d’ouvrir les multiples tiroirs de ce mélange de terres, de glèbes, de colons américano-israéliens.

         Qu’ils soient ignorants ou se veuillent méchants, ces écarts n’altèrent pas le constat que nous pouvons faire jusqu’ici : eretz est d’un usage parfaitement civil, bien plus civil que les propos réguliers du Hamas prétendant à « la Palestine tout entière » destinée à se fondre dans l’eretz Oumma. Les expressions « eretz Israel » ou « territoire d’eretz Israel » ne font, en effet, pas a priori partie d’un vocabulaire négateur des droits des Palestiniens sur une partie d’eretz Israel : c’est seulement le pendant linguistique des expressions qui évoquent « Israël en Palestine » ou « la proclamation d’Israël sur le territoire de la Palestine ».

         Ainsi, un Palestinien peut dire : Israël s’est proclamé comme État sur une partie de la Palestine sans nier la légitimité historique et légale de cette proclamation, comme un Israélien peut évoquer « la conquête (par Israël) de la totalité du territoire d’eretz Israel », comme le fait en l’occurrence Yeshayahu Leibovitz sans nier les droits des Palestiniens, Leibovitz étant au demeurant l’un des opposants les plus virulents, dès 1967, à l’installation d’Israël dans les territoires conquis[41].

         L’expression se trouve naturellement plusieurs fois dans le talmud. Il arrive d’ailleurs que les traducteurs du Talmud en français ou en anglais remplacent eretz Israel par « Palestine », sans aucun préjugé politique ou juridique, mais par souci de compréhension du lecteur, comme certains parlent de l’Ancien Testament pour être sûrs d’être compris. Ainsi, Moïse Schwab qui, en 1881, traduit en français le Talmud de Jérusalem, parfois appelé Talmud palestinien, écrit dans le contexte de l’époque : « Il y a dix degrés de sainteté parmi lesquels la Palestine figure comme le plus sacré des tous les pays (Shekalim IV, 282 [vol. III] traité Kélim I,4) »[42]. Jérôme n’a pas le même souci lorsqu’il reprend la même idée de sainteté en 392-393 ; il n’écrit pas « Palestine » mais « Judée » pour un lectorat encore peu conscient du changement de nom imposé au pays de Juda par Rome : « Autant la Judée est plus élevée que les autres provinces, autant (Jérusalem) est plus élevée que la Judée »[43], propose le traducteur de la Bible catholique romaine.             


         S’il arrive que « Palestine » remplace eretz Israel dans certaines traductions du Talmud, il arrive a contrario que l’expression eretz Israel serve au langage courant et familier à désigner « la Palestine » depuis le Moyen-Âge jusqu’au mandat britannique inclus, les juifs d’Europe pensant encore leur fuite du nazisme en terme de Palestine synonyme d’eretz Israel.

         Pour la première période, on peut citer Juda Hallévi qui, dans le Kouzari (Cordoue, 1140), ouvrage écrit en langue arabe mais en caractères hébraïques, utilise Filastin pour eretz Israel. Ses traducteurs espagnols corrigent dès 1167 en tierra de Israël ; mais les traducteurs ultérieurs écrivent « Palestine » dans les versions allemande en 1885, anglaise en 1905, française en 1994, tout en écrivant eretz Israel lorsqu’ils transposent le texte de l’arabe à l’hébreu : ainsi Hartwig Hirchfeld, qui traduit le Kuzari en hébreu, en allemand et en anglais, traduit le Filastin de Juda Hallévi par eretz Israel de l’arabe à l’hébreu (1887), mais par « Palestine » de l’arabe à l’allemand (1885) ou à l’anglais (1905), ce qui semble confirmer que l'intention première du traducteur est de se faire comprendre du lecteur.

         Hallévi entend, en tous les cas, parler d’Israël si l’on en croit cette interrogation intemporelle à propos de l’élection formulée par le Kouzari au rabbin : « Je n’ai jamais entendu dire que les habitants de Palestine sont supérieurs aux autres hommes »[44].

         Aux XVIIIe-XXe siècles en Allemagne, eretz Israel désigne la Palestine dans les familles juives : dans Rom und Jerusalem, Die lezte Nationalitätsfrage (Leipzig, 1862), Moses Hess cite ainsi son grand-père lui disant que « ces fruits (olives et dates) poussent en eretz Israel » et précise à l’attention de son lecteur : « (en Palestine) ». En version française, David Ben Gourion, qui utilise en hébreu le nom eretz Israel, en arrive à utiliser les noms juifs, Palestine et Israël dans une seule phrase : « les juifs de Palestine doivent à tout prix rester sur la terre d’Israël »[45]. Les auteurs du film Train de vie (1998) font dire indistinctement à leurs personnages eretz Israel et Palestine comme lieu de destination de leur voyage et le Dictionnaire Larousse hébreu-français (Tel Aviv, 1975) propose pour l’expression eretz Israel : « la Palestine ».

         Mais, autant les juifs de diaspora peuvent-ils utiliser « Palestine » dans les langues européennes et préciser, le cas échéant, qu’ils entendent eretz Israel, autant, lorsqu’ils parlent hébreu, ils ne peuvent dire que eretz Israel. Le terme « Palestine » pour eretz Israel ne peut naturellement pas s’entendre en hébreu où « Palestine » se dit Pleshet et désigne le pays côtier des Philistins.

 

         Pour désigner la Palestine mandataire, l’hébreu utilise la transcription moderne Palestina. La question suscita d’ailleurs quelques problèmes et polémiques lorsque, durant le mandat britannique, il s’est agi d’appeler le pays dans les trois langues officielles qui étaient parlées : l’arabe, l’anglais et l’hébreu.

 

Eretz Israel i.e. Palestine

 

         L’histoire de timbres postes émis en octobre 1920 illustre les sensibilités alors en présence. Le nom « Palestine » y figurait en anglais, en arabe et en hébreu, la dernière mention étant suivie des initiales hébraïques aleph yod pour eretz Israel.

         Devant la protestation « des Arabes » (Henry Laurens), un parlementaire britannique interrogea le Foreign Office, et le Haut Commissaire Herbert Samuel expliqua : « Le mot Palestine n’a jamais été utilisé par l’hébreu pour désigner ce territoire. Il n’apparaît ni dans l’hébreu ancien, ni dans l’hébreu moderne. Le terme hébraïque invariablement utilisé ici comme ailleurs est eretz Israel (...) J’ai donc décidé que la meilleure solution consistait à inventer le mot “Palestine” en hébreu et à le faire suivre des initiale d’eretz Israel »[46].

         Pour être précis, il ne s’agissait pas tant d’inventer le mot « Palestine » en hébreu puisque le mot Pleshet qui a donné Palestine existait en hébreu depuis les temps bibliques pour désigner la côte philistine et le pays des Philistins, mais de l’utiliser dans un nouveau sens, le sens géopolitique que lui avait donné les Romains sur la base de l’usage hérodotéen, lui-même usage côtier comme nous l’avons noté plus haut. Le mandat “inventa” ainsi le phonème hébreu Palestina pour appeler administrativement le pays du nom que lui avait imposé Hadrien[47].

         L’adjonction des lettres hébraïques aleph yod pour eretz Israel ne pouvait avoir qu’une valeur « confidentielle », presque intime, comme un code compréhensible seulement entre initiés sachant qu’aleph yod signifiait eretz Israel, d’une part, qu’eretz Israel signifiait « terre d’Israël », d’autre part.

         La configuration du timbre trilingue (dont on trouve une illustration hors-texte dans l’ouvrage de Tom Segev, C’était en Palestine au temps des coquelicots[48]) était la suivante : sur toute la longueur du côté supérieur était écrit en anglais le nom « Palestine » ; le côté inférieur portait, à droite l’inscription « Filastin » en arabe, à gauche l’inscription « Palestina » en lettres hébraïques. La lecture se faisant de droite à gauche, l’inscription arabe précédait l’inscription hébraïque, elle-même suivie de la parenthèse contestée qui ne se distinguait en rien des caractères précédents.

         Henry Laurens, qui assure que l’inscription hébraïque Palestina est « précédée des initiales d’Eretz Israël », doit pour cela lire le texte à la romaine, de gauche à droite, et confirme ainsi qu’il fait une analyse romaine (au sens d’Esaù) de ce qu’il appelle au demeurant, sur trois tomes à ce jour, « la question de Palestine », du nom romain d’Israël. Lues correctement de droite à gauche, les initiales aleph yod suivent - et ne précèdent pas - le nom international Palestina.

         Dans une traduction poussée jusqu’à l’absurde, une biographie anglosaxone de Yasser Arafat devait aller jusqu’à proposer que le sigle aleph yod pour eretz Israel s’incorporait en lettres latines au nom du pays qui devenait ainsi Palestina Ei : « Les Anglais donnent au nouveau pays dont ils ont la charge le nom de Palestina Ei (qui associe l’appellation arabe avec le nom juif d’Eretz Israël, signifiant Palestine) », racontent en effet Janet et John Wallach, dans un mélange où il est probable que, une fois transcrit aleph yod par « e.i. », le couple Wallach se soit convaincu que « e.i. » est de l’hébreu, le transcrive donc « i.e. », puis entende « i.e. » comme id est, le « c’est-à-dire » latin dont l’anglais fait un grand usage à l’oral comme à l’écrit. À leurs yeux et à leurs oreilles, « i.e. » signifiait Palestine.

         Dieu merci, personne n’a encore traduit « Palestina aleph yod » par Palestine a.i.


 

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II. « Jérusalem, capitale éternelle d’Israël »


 

         On découvre un même jeu d’écriture pour « capitale éternelle d’Israël », expression dont se sert l’écriture médiatique et militante pour prétendre qu’Israël a ainsi qualifié Jérusalem dans la loi du 30 juillet 1980.

         Or, dans cette acception précisément, « éternelle » est un terme d’essence chrétienne. L’idée d’éternité (André Chouraqui traduit toujours : pérennité) est exprimée dans la Bible hébraïque par le mot ’olam et n’est pas attribuée à Jérusalem. Contrairement à Rome, très tôt qualifiée de urbs aeterna[49], Jérusalem n’est jamais dite ’ir ’olam, observe en 1957 Abraham Heschel dans Les Bâtisseurs du temps [50].

         L’adjectif ’olam traduit l’idée de temps sans indication de durée, exprimant le passé comme le futur. Le « Dieu éternel » (El ’olam) de Gn 21,33 dans les traductions non-chrétiennes est ainsi « El de pérennité » chez Chouraqui, « Dieu de toujours » chez Meschonnic. La « vie éternelle » (raï ’olam) annoncée par Daniel 12,2 est « vie en pérennité » chez Chouraqui ; « le peuple éternel » (yam ’olam) auquel se réfère Isaïe 44,7 pour désigner Israël dans la traduction de la Bible de Jérusalem est encore « le peuple de la pérennité » pour Chouraqui, la plupart des traductions chrétiennes donnant en revanche à cet ’olam-là une valeur d’intemporalité dans le passé, au sens de passé de temps, dépassé, antique.

         Israël yam ’olam est ainsi un peuple « qui remonte à la nuit des temps » selon la TOB dont une note propose que yam ’olam « signifie littéralement “peuple de l’antiquité” » ; il est « le peuple ancien » pour la Bible Segond et « le peuple du passé » pour celle de la Pléiade qui observe pourtant en note que yam ’olam « signifie proprement “le peuple du temps perpétuel” »[51], de Sacy sortant par le haut du piège temporel de cet intemporel en écrivant « mon peuple », puisque aussi bien, dans ce verset d’Isaïe, c’est Dieu qui parle. 

 

L’éternel d’antan

 

         Notant qu’on a pu comprendre et traduire yam ’olam tant par « peuple éternel » que par « peuple

ancien », Heschel signale une idée d’éternité rattachée à Jérusalem dans Jérémie 17,25 ; une idée qu’il assimile aux temps messianiques : si Israël écoute Dieu, prend garde à son âme, se conforme à la loi, respecte le shabbat, Jérusalem sera habitée lé ’olam (« vers l’éternité ») dit ce verset : « en pérennité » (Chouraqui), « à jamais » (Dhorme pour la Pléiade, Rabbinat et TOB), « à toujours » ou « pour toujours »  (Segond, Bible de Jérusalem, Bible Bayard des écrivains), « éternellement » (de Sacy).

         Sinon, rappelle-t-il, l’éternité ne saurait être l’attribut d’une cité dans la pensée juive, et c’est même le point de rupture de Rabbi Simeon avec le monde civilisé : « Le monde est éphémère, mais ce par quoi le monde fut créé – la Parole de Dieu – est éternel », écrit Heschel, aux antipodes de l’éternité que prétend conférer l’Église catholique au royaume de France dans le « Testament de Saint Rémi ».

         Selon la tradition, en effet, rappelée en mars 2010 sur les ondes de l’extrême Radio Courtoisie qui entendait réaffirmer les racines chrétiennes de la France, l’évêque Rémi de Reims s'adressa à Clovis lors de son baptême, en 496, en lui disant : « Apprenez, mon fils, que le royaume de France est prédestiné par Dieu à la défense de l'Église romaine qui est la seule véritable Église du Christ ... Ce royaume sera un jour grand entre tous les royaumes, il embrassera les limites de l'empire romain et il soumettra tous les peuples à son sceptre ... Il durera jusqu'à la fin des temps ! … Il sera victorieux et prospère tant qu'il sera fidèle à la foi romaine, mais il sera rudement châtié toutes les fois où il sera infidèle à sa vocation ». Puis, dans le texte connu comme le « Testament de Saint Rémi », l’évêque devait appeler à ce que, « de cette race royale sortent des rois et des empereurs qui, confirmés dans la vérité et la justice pour le présent et pour l'avenir suivant la volonté du Seigneur pour l'extension de sa sainte Église, puissent régner et augmenter tous les jours leur puissance, et méritent ainsi de s'asseoir sur le trône de David dans la céleste Jérusalem où ils régneront éternellement avec le Seigneur ».

         Le lien fait ici entre l’Église catholique, le roi Clovis que Rémi baptise à l’orée du VIe siècle après Jésus, le roi David du récit hébraïque, le trône de David du récit chrétien, la Jérusalem céleste de Saint Augustin et l’éternité du règne partagé entre un David devenu chrétien et un Jésus devenu Dieu, donne à cette éternité la connotation chrétienne qui permet à Rome (que Rome soit à Rome, à Paris, à Bruxelles, ou à New York : à Rome Esaù) de s’approprier le temps. Le temps, les hommes et l’espace puisque aussi bien le règne auquel pense l’évêque de Reims est eschatologique, la gouvernance mondiale avant la lettre, le sceptre définitivement aux mains d’Esaù[52]

 

L’éternel catholique

 

         Romain et chrétien est ainsi le monde où l’éternité est l’attribut d’une cité ou celui d’un grand homme (Cicéron saluait le peuple qui lui avait accordé non point un vote mais l’éternité et l’immortalité). Ce monde n’est pas juif, explique Heschel ; Rabbi Simeon le fuit[53].

         L’islam lui-même se rapproche du judaïsme pour définir l’éternité comme un concept temporel : « Le temps que dureront les cieux et la terre ». Blachère, Masson, Grosjean, Montet, Kasimirski, Boubakeur traduisent ainsi littéralement le séjour passé par les malheureux dans le feu (de l’enfer) et par les bienheureux dans le jardin (d’Eden), un séjour qu’Abdelwahab Meddeb dit « éternel » (« le séjour éternel dans l’Eden »), Jacques Berque réunissant pour sa part  les deux traductions en proposant qu’ils s’y « éternisent pour la durée des cieux et de la terre »[54].

         On trouve encore le sens d’intemporalité, passé et futur mélangés, dans ce mot de Claude Lévi-Strauss dans l’Étudiant socialiste : « Le contact avec la nature représente la seule expérience humaine éternelle »[55].

L’idée d’éternité attribuée par la critique à Israël qui aurait, mais n’a pas, qualifié Jérusalem de « capitale éternelle » dans le sens que lui reproche l’écriture médiatique et militante de l’histoire est ainsi romaine, puis chrétienne.

         Il y a dans le reproche fait à Israël, peuple et État, de dire sa capitale éternelle dans sa loi – qu’il n’en soit rien est sans doute un autre problème – quelque chose de l’ordre du mimétisme panique et de la mise en garde : « Ils veulent prendre notre place », craint Rome, urbs aeterna ; « Ils veulent faire comme les chrétiens ont fait avec Rome et comme le christianisme le fait en général avec ce qui, depuis lui, est éternel », comme la dernière alliance, par exemple, celle de l’eucharistie qui, dans ce mot de Jean-Paul II, voudrait faire du shabbat une préparation du dimanche : « Le précepte du shabbat, qui prépare dans la première Alliance le dimanche de la nouvelle et éternelle Alliance, s’enracine dans la profondeur du dessein de Dieu »[56].

         L’acception catholique d’éternité, encore saluée par Jean-Paul II dans le fait de passer du shabbat (septième jour de la Genèse et des Hébreux) au « dimanche, huitième jour, figure de l’éternité », est sans doute étranger au vocabulaire religieux juif et probablement au vocabulaire sioniste. Le « premier jour de la semaine », nom que le jour suivant le shabbat porte littéralement en hébreu, et nom qu’il porte encore dans les évangiles et leurs traductions, est devenu plus tard « dimanche » via le latin Dies domini, jour du seigneur, jour de la résurrection de Jésus. Soit, mais les Pères de l’Église et Jean-Paul II quelques siècles plus tard veulent voir, dans le premier, le huitième, et inversement, dans le huitième, « transcendance à la succession septénaire des jours », le premier.

         Ce qui était simplement « le premier jour de la semaine » parce qu’il suivait le dernier et recommençait le cycle hebdomadaire deviendrait ainsi premier parce qu’il transcenderait le chiffre sept : « La célébration du dimanche, en même temps “premier” et “huitième” jour, projette le chrétien vers le but qui est la vie éternelle », dit encore la lettre apostolique en paraphrasant Saint Augustin[57].

         Pour corser le rythme de la semaine, un commentaire du selon Luc proposé en 2008 aux lecteurs de La Vie laisse entendre que ce sont les chrétiens qui ont appelé le dimanche « premier jour de la semaine ». Alors que Luc écrit du jour de la résurrection, selon la tradition chrétienne, qu’il est « le premier jour de la semaine », ce qu’il est en hébreu et dans la vie juive de l’époque, le commentaire indique dans un renversement sidérant et une appropriation violente du temps et des mots  : « Le jour de la résurrection est devenu pour nous le premier jour de la semaine, le dimanche »[58].

         On comprend que, dans pareil contexte, « capitale éternelle » fasse frémir ; et Mgr Sabbah, le patriarche latin des années intifada (il terminait son mandat à Jérusalem au printemps 2008), pouvait bien ironiser sur la prétention d’Israël à lui voler son dimanche en se disant éternel à Jérusalem, quand le mot éternel associé aux juifs l’est a priori pour rappeler qu’ils sont d’« éternels étrangers[59] ».

 

L’éternel Dieu

 

         On a vu, jusqu’ici, que le français éternel traduisait l’hébreu ’olam, ’olam désignant en hébreu le temps sans indication de durée, concept rendu chez Chouraqui par pérennité. Une difficulté sémantique vient se greffer sur le sens de ’olam lorsque le mot Éternel, avec majuscule, sert à traduire Iahvé. Cette difficulté n’apparaît, à notre connaissance, qu’en français, et notamment dans les traductions de la Bible d’inspiration protestante, le mot Éternel y rendant le tétragramme IHVH (Iahvé), que la Septante avait traduit en grec par Kurios, souvent rendu par Seigneur (Dominus dans la Vulgate, Lord dans la King James, Herr chez Lüther) mais par Éternel chez Segond, la Bible de Jérusalem gardant Iahvé.

         Ainsi, sans préjuger de son usage profane, que nous étudierons plus loin, l’expression « devant l’ Éternel », qu’on trouve par exemple dans la Genèse pour désigner Nemrod, « grand chasseur devant l’Éternel », indique au sens strict « à la face de Dieu », littéralement « devant le visage de Dieu », sans autre connotation de temps pérenne que celle qui est attribuée à Dieu « qui a été est et sera ».   

         Le « Iahvé, Dieu éternel » de Gn 21,33 est rendu par « Lord, everlasting God » dans la version King James, « Herr, ewiger Gott » chez Lüther, « Dominus, Deus aeternus » dans la Vulgate, « Éternel, Dieu d’éternité » chez Segond qui est presque seul à fondre en français les idées de Maître et d’éternité dans le mot Éternel, la Bible de Jérusalem conservant Iahvé sans le traduire.

         Cette particularité casse le triptyque qu’il y a dans « Iahvé, Dieu éternel ». Trois mots en hébreu (Iahvé, El, ’olam), en latin (Dominus, Deus, aeternus), en allemand (Herr, ewig, Gott), en anglais (Lord, everlating, God), en français (Seigneur, éternel, Dieu) deviennent deux lorsque le Seigneur devient lui-même l’Éternel, et la seigneurie, éternelle. Le doublon renforcerait alors le mot éternel qui, de pérenne, deviendrait divin.

         L’usage du mot Éternel pour Iahvé, et la synonymie induite ainsi entre Éternel et Dieu, ferait, dans les consciences, entendre « capitale divine » à côté de « capitale éternelle ». Quand bien même c’est Rome qui est divine dans Urbs aeterna, l’expression « capitale divine d’Israël » est inaudible pour qui pense déjà qu’Israël fait dans l’arrogance et la démesure.  

 

         Il est improbable que les juifs, plus improbable encore que les sionistes, aient, du concept d’« éternité », la même approche complexe ; et qu’ils se soient mis en tête de faire de Jérusalem une « capitale éternelle » au sens où le christianisme l’a fait de Rome. Même lorsque l’expression y apparaît – et cela est rare, nous allons le voir – elle n’y apparaît pas avec le poids que la théologie chrétienne et rivale lui a donné par la suite et que l’écriture médiatique et militante reprend à son tour pour mieux critiquer/juger les prétentions arrogantes qu’elle construit, puis reproche à Israël.

         S’ils peuvent être lancés dans un meeting ou un discours officiel en hébreu (comme celui d’Ariel Sharon à l’ONU le 19 septembre 2005), on ne trouve pas les mots « capitale éternelle » dans la loi israélienne du 30 juillet 1980 faisant de Jérusalem la capitale du pays[60].

         Or, c’est le fait qu’ils soient dans cette loi qui est mis en lumière par les détracteurs d’Israël.

 

La loi d’Israël

 

         L’écriture médiatique et militante insiste en effet non seulement à citer cette expression peu juridique, mais à la placer expressément dans la loi israélienne. Par exemple Alain Gresh et Dominique Vidal, responsables du Monde diplomatique et auteurs d’une abondante littérature militante anti-israélienne, assurent que « (les) Israéliens entendent réaliser sur le terrain cette “capitale éternelle d’Israël” proclamée dans leurs textes de

loi ».

         Par les italiques et les guillemets, les auteurs – journalistes dont le métier est de manier correctement l’italique et le guillemet – impliquent clairement une citation et racontent ainsi faussement à leurs lecteurs que l’expression « capitale éternelle d’Israël » figure dans les textes de loi israéliens[61]. Jacques Potin, lui aussi journaliste, ancien directeur du Monde de la Bible, assure lui aussi - dans son Jérusalem. Juifs, chrétiens et musulmans au cœur d’une ville unique - en regard de l’année 1980 de son tableau introductif « Jérusalem et l’histoire » : « Proclamation, par Israël, de Jérusalem comme capitale éternelle de l’État »[62].

         La même distorsion de la loi israélienne se répète dans un même jeu de guillemets sous la plume de Farouk Mardam-Bey et Elias Sanbar dans les lignes introductives à un recueil de textes sur Jérusalem : « (En 1948), au mépris des résolutions internationales sur la Palestine », écrivent-ils dans une formulation qui laisse entendre que le refus arabe de la résolution 181 et l’occupation hachémite de la partie orientale de la ville de 1949 à 1967 étaient a contrario un respect desdites résolutions internationales, « Jérusalem-Ouest est occupée par les forces sionistes (et) déclarée en 1950 capitale d’Israël » et, en 1967, « la ville tout entière (...) sera proclamée “capitale éternelle d’Israël” »[63]

         Le mot « éternel » agace les deux militants qui le reprennent quelques lignes plus loin en reprochant à Israël de prétendre, à défaut d’une annexion officielle, installer « une souveraineté exclusive et “éternelle” » sur la Cisjordanie, avec les guillemets d’ironie et d’indignation quand ce ne peut être de citation. Il nous faut entendre : « capitale qu’Israël prétend éternelle » ou, pour le dire comme Le Monde, qu’Israël « considère comme sa “capitale éternelle et indivisible” »[64]. Dans le corps de l’ouvrage dirigé par Mardam-Bey et Sanbar, l’historien palestinien Khalîl ‘Athâmina qui prétend, pour sa part, faire de Jérusalem « la capitale de la Palestine au premier siècle de l’islam » – quand ni la Palestine ni Jérusalem ne sont ainsi appelées au premier siècle de l’islam, ni par les Byzantins ni par les premiers musulmans eux-mêmes – estime sur le ton familier de l’indignation que c’est « à tout bout de champ » que « les Israéliens répètent, comme s’il s’agissait d’une litanie : “Jérusalem est la capitale éternelle d’Israël” en s’appuyant (notamment) sur une décision politique de leur Parlement prise dans l’ivresse de leur victoire en juin 1967 »[65].

         L’auteur, qui prétend citer une loi de la Knesset, est présenté comme professeur à l’université de Bir Zeit, spécialiste de l’histoire des deux premiers siècles de l’islam (p. 400). Or, durant les deux premiers siècles de l’islam, justement, la Palestine n’est pas une entité qui aurait une capitale. Le pays est encore désigné sous le nom de Shâm, Jérusalem sous celui de Iliya puis al Bayt al Muqqadas, le premier étant une réminiscence de sa destruction par Hadrien et le deuxième une référence et un hommage de Mohammed et de Omar au Temple de Salomon (voir : « Qods, Kadosh, Caduc »).

         Le « mythe de l’indivisibilité de Jérusalem, “capitale réunifiée et éternelle de l’État d’Israël’’ » – tel qu’il est encore mis en avant par le journaliste Denis Schattner dans Le Monde diplomatique – est à maints égards un mythe romain au sens d’essavien, fabriqué par Rome à l’image de l’urbs aeterna, inventé par Edom/Esaù pour en reprocher ensuite l’invention à Israël, dans un processus d’exclusion qu’on peut observer aussi avec « terre sainte », autre invention chrétienne ; un « mythe » (car on associe l’idée de mythe à celle d’éternité) utile comme tel à l’écriture médiatique et militante.

         Car il y a en réalité deux mythes dans la proposition : le mythe de l’indivisibilité et celui de l’éternité. Celui de l’indivisibilité est temporel, celui de l’éternité par définition intemporel. Israël vise idéalement l’indivisibilité, y ajouter l’intemporalité est comme mieux placer le pays sous la protection jugée aléatoire de Dieu. Dans Le Monde 2, qui titre en une « Ces colons qui défient la paix », un journaliste raconte son périple « au cœur de la Cisjordanie colonisée » ; il est tellement agacé par cette prétendue éternité qu’il attribue la paternité de l’expression au roi David, au risque d’ailleurs de prêter à David et à son royaume une importance, sinon une existence, que l’écriture médiatique et militante s’applique à lui nier, depuis notamment le succès éditorial de La Bible dévoilée.

         David s’empare en effet d’abord de Maon, puis de Hébron, raconte Jean-Marie Hosatte, « avant de conquérir Jérusalem et d’en faire la capitale éternelle d’Israël »[66]. Le Testament de Saint Rémi se lit en palimpseste dans cette enquête du supplément dominical du Monde. Le reproche fait à Israël de se prendre pour le peuple élu est présent dans l’évocation de « capitale éternelle » comme il l’est dans celle du « Grand Israël » examiné plus haut, deux expressions fabriquées par les ennemis d’Israël.

 

Une loi, un mythe

 

         Schattner indique d’ailleurs que le mythe date de 1967, ce qui est impossible pour la deuxième composante du mythe, qui, si celui-ci était avéré, daterait en tout cas de l’époque exilique. Et il atténue la force du mythe en en faisant un dogme, ce qui n’est pas synonyme : le dogme, dit-il, d’une Jérusalem indivisible et éternelle, a été « tellement inculqué qu’il est difficile d’imaginer que, jusqu’en 1967, la direction de l’État et, auparavant, celle du mouvement sioniste n’avaient jamais sérieusement œuvré pour annexer Jérusalem-Est », un concept au demeurant inconnu avant 1949 comme nous le rappelons ailleurs. Pour construire sa propre thèse, Schattner doit prêter au mouvement sioniste d’avant l’État la pré-science d’une séparation de Jérusalem en est et ouest. Plus encore : la question d’une souveraineté juive sur le mont du Temple ne s’était jamais posée en termes temporels, écrit Schattner.

         Un transfert de vocabulaire s’opère sous nos yeux dans le langage militant : dire « Jérusalem l’éternelle » n’équivaut en aucune façon à dire « Jérusalem capitale éternelle  », encore moins « capitale indivisible et éternelle ». Par adjonctions médiatiques et militantes, par trop plein, l’auteur – journaliste encore, donc sachant citer – change la parole de ceux qu’il cite : Moshe Dayan, le 7 juin 1967 lors de la prise de Jérusalem, et David Ben Gourion en 1949 au terme des guerres qui ont conduit à la séparation fictive de la ville en Jérusalem ouest et Jérusalem est. En 1967, Dayan dit : « Ce matin, Tsahal a libéré Jérusalem, la capitale divisée d’Israël. Nous sommes revenus au plus saint de nos lieux saints et nous ne nous en séparerons jamais[67]  ». Schattner écrit immédiatement après : « De ce jour date le mythe de l’indivisibilité de Jérusalem, “capitale réunifiée et éternelle de l’État d’Israël” ». Il place entre guillemets qui semblent de citation « capitale réunifiée et éternelle », mettant ainsi dans la bouche de Dayan ce qui forme le mythe qu’il entend mettre en lumière, mais Dayan n’a pas dit « éternelle », ne serait-ce que dans la phrase sur laquelle Schattner prend appui. À l’instar de l’infinite justice que nous avons vu devenir « immuable » par interpolation médiatique et militante, le journaliste ajoute ainsi du biblique, ou présumé tel, au propos de Dayan qui en contient déjà, mais sous une forme minimaliste : « Nous sommes revenus au plus saint de nos lieux saints ».

         En 1949, Ben Gourion dit : « Israël a et aura une seule capitale, Jérusalem l’éternelle ». Dans cette phrase, et pour cause, Ben Gourion ne dit pas « indivisible » (« une seule » ne dit rien de l’éventuelle moitié de ville qui est et sera la capitale, « une seule » dit seulement que la capitale ne saurait être, ne sera pas, en tout cas pas longtemps, ou pas toujours Tel Aviv) et il ne dit pas non plus « capitale éternelle » : il dit qu’Israël a et aura – de façon assurément intemporelle, correspondant en partie à l’histoire biblique, en partie à l’histoire profane (Alexandre, Pompée, Titus, Hadrien ont connu Jérusalem comme capitale d’Israël, peuple et entité, ou capitale de Juda, peuple et entité) – qu’Israël a et aura une seule capitale, deux points : Jérusalem l’éternelle. Il dit « l’éternelle » comme il aurait pu dire « la sainte » mais il ne qualifie pas d’éternelle la capitale de l’État temporel d’Israël.

         Dans la même perspective, les Italiens n’ont pas une capitale éternelle qui s’appelle Rome, ils ont pour capitale « Rome, l’éternelle ».

         On peut suivre l’ambiguïté du propos en examinant les éléments historiques que mentionne Schattner entre les deux citations de Dayan et Ben Gourion. Très vite, d’abord, le « mythe de l’indivisibilité de Jérusalem » devient étrangement le « mythe de Jérusalem délivrée ». Ce mythe a des racines lointaines, dit-il : « deux millénaires ». Toujours les deux millénaires chrétiens qui formatent l’écriture médiatique et militante de l’histoire, et renvoient le lecteur à Jésus, Titus et Hadrien. Or, Schattner n’ignore pas qu’Israël se souvient de Jérusalem depuis bien avant Jésus, Titus et Hadrien, depuis en tout cas trois millénaires : en 587 avant l’ère chrétienne, le peuple emmené de Jérusalem à Babylone faisait déjà un pacte avec sa capitale – « Si je t’oublie, Jérusalem... » – un pacte qui disait déjà la profondeur d’un lien ancien, mais il a probablement raison dans la datation de la volonté de libération de la capitale ravagée par Titus et dé-nommée par Hadrien, ce qui souligne au demeurant le fondement et la légitimité du retour d’Israël sur la terre dont il a été expulsé deux millénaires plus tôt[68].

 

L’éternel recommencement

 

         Capitale des royaumes de David et Salomon, puis capitale du royaume de Juda, prise, reprise, perdue, retrouvée, Jérusalem est présentée par le Dictionnaire de la Bible (catholique) comme « à nouveau la capitale d’un vrai royaume » à l’époque des Asmonéens[69].

         L’ouvrage indique que la ville reste « capitale politique et religieuse » sous Hérode et pose l’an 135 comme « fin tragique de la Jérusalem biblique » qui devient « la païenne Ælia Capitolina » pour « redevenir la ville sainte du vrai Dieu » sous le règne de Constantin en 325[70].

         La formulation qui indique que Jérusalem redevient la capitale du vrai Dieu sous Constantin est bien sûr anachronique. L’idée chrétienne d’un Dieu vrai par opposition à un Dieu qui serait faux n’avait pas cours en 135. À cette date, Jérusalem était encore la capitale de la Judée, donc de Juda, la guerre qui opposait les habitants de Juda aux Romains de 132 à 135 était menées par des judéens et, entre 133 et 135, les troupes de Bar Khorba avaient frappé des pièces datées des années I et II « de la Libération », ce que le même dictionnaire mentionne dûment (p. 636). Pour que Jérusalem « redevienne » la capitale d’un vrai Dieu dans un ouvrage postérieur de quinze ans à Vatican II, il faut donc non seulement faire remonter l’idée du vrai Dieu à l’époque de Jésus (qui était un vrai juif) et passer par dessus Bar Khorba, chef des Iehudîm, auxquels Jérusalem fut prise de force.

         De la formule et de sa comparaison avec l’époque asmonéenne émergent aussi une différence d’ordre politique et religieux : Jérusalem est en effet « la capitale d’un vrai royaume » à l’époque des Maccabées puis « la ville sainte d’un vrai Dieu » à l’époque de Constantin. Le double usage du mot « vrai » indique une forme d’alternative dans l’esprit du rédacteur : soit un vrai royaume, soit un vrai Dieu ; quand le royaume est vrai, Dieu n’est pas de ce monde ; quand Dieu est vrai, le royaume n’est pas de ce monde. L’ouvrage, qui a reçu l’imprimatur catholique, reprend au demeurant à son compte l’idée que « les Israélites », comme il appelle encore les Israéliens en 1989, « entendent faire (de Jérusalem) la capitale éternelle de leur nation » (p. 638).

         Au « mythe » et au « dogme » de Schattner, Yves Teyssier d’Orfeuil et Michel Sabbah ajoutent

« axiome » : « Le 7 juin 1967, les Israéliens occupent la moitié Est de Jérusalem et l’annexent implicitement dès le 28 juin 1967 par une loi qui proclame la “réunification de la ville”. De cette époque date l’axiome “Jérusalem capitale éternelle et indivisible de l’État d’Israël”. Commence la judéisation de la ville (...) »[71].

         Les auteurs catholiques suivent ici le dogme auquel s’est rattaché déjà Le Monde diplomatique, attribuant à 1967 les termes de la loi de 1980 et y ajoutant le concept d’éternité étranger à la loi israélienne. L’ouvrage de Teyssier d’Orfeuil et Sabbah, Prix Palestine – Mahmoud-Hamchari au même titre que le tome 2 de la Question de Palestine d’Henry Laurens ou Le mur de Sharon d’Alain Ménargues, s’inquiète par ailleurs étrangement de la « judéisation » de Jérusalem, ville judéenne plusieurs siècles avant Jésus, encore capitale du pays de Juda (ou Judée via le latin des Romains) au temps où le christianisme prit corps. Les auteurs entendent sans doute regretter l’« israélisation » (au sens politique moderne) de Jérusalem en 1967, et donc sa « judaïsation » (son peuplement par des juifs au sens où l’on parle de « territoires judaïsés »)[72].

 

         Dans Michel Sabbah, Paix sur Jérusalem, l’écriture chrétienne militante se raccroche à la valeur donnée à l’expression « capitale éternelle » par l’écriture médiatique. Ainsi Mgr Sabbah, connu dans la France militante comme « l’évêque palestinien de Jérusalem », dénonce les Israéliens qui, selon lui, « affirment continûment à tous leurs interlocuteurs que Jérusalem est la capitale éternelle et indivisible de l’État d’Israël, notion contraire à toute réalité historique et politique ».

         On trouve dans le « affirment continûment à tous leurs interlocuteurs » de l’évêque romain le même ton agacé de l’historien précité de Bir Zeit dans son « à tout bout de champ comme une litanie », le même type de sentiment se lisant déjà en 1919 dans une lettre du Quai d’Orsay du 15 janvier qui manifestait quelque inquiétude devant le soutien britannique au projet sioniste : l’Ambassadeur de France à Londres devait « demander aux Anglais de s’abstenir de tout acte “de nature à faire concevoir aux juifs des espérances irréalisables”, car il fallait faire comprendre “une bonne fois pour toutes” aux sionistes qu’il n’était question “en aucun cas” de constituer en Palestine “un organisme souverain” »[73].

         Ce faisant, ironise Mgr Sabbah, « ils font preuve d’un certain fétichisme et donne l’impression que le refus du dialogue entre Palestiniens et Israéliens pourrait bien être “éternel” » (p. 269). Si l’ouvrage fut sévèrement remis à sa place par le père Jean Dujardin qui, dans la revue Études (t. 397, n° 4, oct. 2002, p. 347-357) a dénoncé une vision théologique, politique et historique biaisée et partisane quand ce n’est simplement erronée, peu rigoureuse et militante[74], l’ironie de Michel Sabbah prend en réalité racine dans un « éternel » chrétien, celui-là même qui désignait Israël comme « éternellement » banni de sa terre, celui-là même, donc, que le pape devait rappeler à son vieil ennemi ottoman pour tenter d’empêcher son retour : selon le Vatican en 1897, il fallait en effet « ne pas céder la Palestine aux juifs “qui seraient orgueilleux de pouvoir faire mentir la prophétie selon laquelle ils étaient pour l’éternité dispersés dans le monde et dans l’impossibilité de former une nation” » [75].

 

         Au « fétichisme » israélien, Sabbah oppose d’ailleurs sans mesure les anciennes thèses chrétiennes faisant des Palestiniens le Verus Israel. Dieu a donné la terre au peuple juif pour la venue du messie ; Dieu a donné, mais Dieu est maître de l’histoire ; la dispersion (des juifs), c’est Dieu qui l’a voulue ; aujourd’hui il y a un peuple nouveau qui s’appelle le peuple palestinien, raconte Sabbah à Teyssier d’Orfeuil Le peuple palestinien est, dans cet optique, le peuple nouveau auquel Dieu a donné la terre après l’avoir reprise au peuple juif, auquel il ne l’avait en tous les cas donnée que pour la venue du messie, qui, dans la perspective des deux auteurs, est venu[76].

         Ce faisant, le patriarche catholique accepte (ou inaugure) la thèse du dar el-islam, elle-même création militante tardive mais « qu’on fait mine de croire éternelle » selon les termes de l’anthropologue marocain Abdellah Hammoudi qui présente « la fameuse opposition (entre “maison de l’Islam” et “maison de la Guerre”) » comme « véritable obsession des consciences musulmanes », opposition dont il date l’émergence des années 1960 dans l’esprit d’« un orientalisme aux postulats douteux » en Europe et aux États-Unis[77].

 

L’éternel remplaçant

 

         Il reste que, si l’islam n’a jamais prétendu que Dieu avait donné la terre d’Israël aux musulmans, comme Michel Sabbah prétend qu’il l’a fait pour les Palestiniens, l’exégèse islamique contemporaine et de combat construit l’idée d’un Verus Israel musulman dans des termes naturellement similaires à ceux qu’utilise Sabbah. Dans son exégèse de la Sourate 2, Tahar Gaïd explique, lui aussi, que c’est Dieu qui commande. Israël aurait voulu que Mohammed fût juif, il n’en est rien : « S’obstiner (...), c’est refuser à Dieu le pouvoir de renouveler Sa révélation et de la faire descendre sur celui qu’Il veut, là où il veut[78]  ». 

         Et l’exégèse musulmane veut voir un précédent dans la désignation de Saül comme premier roi d’Israël : « Dieu donne sa royauté à qui il veut », lit-on dans le Coran (2,247) ; « Ce verset s’adressait aux juifs de Médine », précise Gaïd, plaçant ainsi Mohammed dans la position de Saül : « Leurs devanciers (les juifs de l’époque de Saül, nda) savaient fort bien que la désignation de Saül était justifiée pais ils préféraient ergoter comme à leur habitude, en demandant des preuves justificatrices. Il en était de même des juifs contemporains du Prophète (...) ; eux également n’ignoraient pas que Mohammed était l’envoyé de Dieu mais ils s’obstinaient à réclamer des preuves[79]  ».

         En réalité, ce passage médinois du Coran est inspiré du Livre de Samuel où les prétendus ergoteurs ne sont autres que des « vauriens », en aucun cas le peuple juif dans son ensemble[80]. Le premier roi d’Israël est une figure que reprend volontiers le militantisme antijuif dans la mesure où l’homme n’est pas de l’élite. L’exégèse coranique aime voir un « enseignement » dans sa désignation : « La direction d’un peuple n’est pas nécessairement l’apanage des gens fortunés ou d’ascendance noble », veut faire retenir de C 2,247 Tahar Gaïd[81]. Il faut garder à l’esprit cependant que, si Saül est bien le premier roi d’Israël, et à ce titre nullement écarté de l’histoire juive, il conduit à David.

         « Dieu fait ce qu’il veut », rappellent à l’unisson le Coran, Mgr Sabbah et l’exégèse islamique de « La Vache ». Ainsi David remplace-t-il Saül, jugé indigne de régner sur Israël[82] et à maints égards responsable d’avoir livré son peuple aux Palestiniens (Pelishti)[83] ; et il est troublant que le récit de l’éviction de Saül par David – après le combat contre Goliath, la victoire contre les Palestiniens (Pelishti) – n’inspire pas autant les messianismes islamique et chrétien que le personnage, il est vrai shakespearien, de Saül[84].

         Dans le flot d’altérations du discours israélien par la lecture chrétienne qui en est faite ensuite, on entend encore la critique adressée à Israël qui prétendrait que « le messie a donné Gaza aux juifs ». Racontant l’évacuation de Gaza de l’été 2005 sur les extrêmes ondes de Radio Courtoisie, le journaliste belge et ancien député européen Luc Beyer de Rike, lui-même extrêmement opposé à Israël, rapporte que les habitants qui s’opposaient au départ affirmaient, dans une logique qu’on peut entendre dans leur perspective, que le messie interviendrait pour empêcher l’évacuation de se dérouler. Ils ajoutaient, dit le journaliste européen : « Si l’évacuation a lieu quand même, c’est que nous avons péché et sommes punis » (appréciation parfaitement audible dans la même perspective) mais la situation née de la punition sera provisoire car, à ce qu’en retient le reporter belge, de formation catholique : « Le messie nous renverra sur les terres qu’il nous a lui-même données ».

         La narration enveloppante du journaliste contient plusieurs idées, tantôt anti-juives chrétiennes tantôt anti-israéliennes palestiniennes.

         Il prétend rapporter en effet des propos tenus par des Israéliens juifs qui, s’ils évoquent le messie dans le contexte de l’évacuation de Gaza, évoquent par définition le messie juif, le messie à venir. Il n’a donc pour l’instant ni donné ni repris de terre à personne (erreur chronologique), et il n’entre d’ailleurs pas dans les fonctions du messie de donner la terre (erreur théologique). Si un juif Israélien entend se référer à la Bible pour justifier sa présence à Gaza, c’est qu’il considère que Dieu lui a donné la terre, pas le messie, ni aucun des prophètes : la lettre même de la Bible hébraïque n’attribue qu’à Dieu la répartition des terres. C’est donc bien le narrateur chrétien, formé par les pères, qui, devenu journaliste, modifie la chronologie et la théologie d’un discours qu’il prétend rapporter ; lui qui met son messie à lui – du moins l’idée d’un messie chrétien devenu Dieu, et même le Dieu de la Genèse, celui qui a donné la terre – dans la pensée d’Israéliens juifs à Gaza pour décrédibiliser et railler le discours source, cela sans même évoquer le fait que Gaza, selon le Talmud et les experts de la halacka, n’est probablement pas terre d’Israël [85].

 

L’éternel railleur

 

         La raillerie n’est au demeurant jamais très loin dans les reproches à Israël de « se croire » sur sa terre et dans sa capitale « éternellement », « pour toujours », « à tout jamais » ... Voltaire ne s’y était pas trompé qui, déjà, ironisait en interpolant le texte source qu’il assurait pourtant expressément citer en note : à Abraham, en effet, Dieu aurait dit – le vouvoyant car Voltaire lit la Bible hébraïque avec les yeux de son anticléricalisme catholique et fait se vouvoyer les personnages qui pourtant se tutoient : « Je vous donne pour toujours, à vous et votre postérité jusqu’à la fin des siècles, in sempiternum à tout jamais, tout le pays que vous voyez »[86]. Le châtelain de Ferney paraît si agacé de ce don qu’il le dit quatre fois « éternel » dont une en latin dans la bouche de Dieu dont on connaît pourtant l’économie de langage : « pour toujours, jusqu’à la fin des siècles, in sempiternum, à tout jamais ». C’est que c’est bien Voltaire et non Dieu qui parle, persifle, falsifie, exagère ; Voltaire à qui sa lourde insistance fut signalée de son vivant[87] , Voltaire néanmoins qui reste dans les mémoires de l’écriture médiatique et militante comme un fin critique du trop religieux.

         « Éternel » ajoute à « toujours » ou « pérenne » une dimension qu’olam n’a pas, ou pas forcément, et nous nous trouvons ici face à un nouvel exemple d’amplification / aggravation d’un langage qu’on prétend dénoncer. L’ambiguïté du français qui a déjà fait d’« éternel » (le cas échéant « Éternel ») un des noms possibles de Dieu – ce qu’olam n’est en aucune façon en hébreu qui n’appelle jamais Dieu « Toujours » (dans El olam, c’est El qui signifie Dieu) – ajoute encore à la déviation de sens.

         L’Éternel comme nom de Dieu n’appartient pas à la Bible hébraïque ; on le trouve dans les livres deutérocanoniques, notamment Baruch, donc dans le grec ; et on peut suivre Chouraqui qui garde fidèlement pour olam les concepts de pérennité, pérenne quand les versions chrétiennes introduisent l’idée d’éternité et d’éternel. Il semble qu’on puisse confirmer par cet exemple que le texte hébreu de la Bible est à maints égards moins “biblique”, moins pesamment théologique que les traductions chrétiennes ne l’impliquent et il convient parfois d’évacuer ce que Meschonnic appelle « bondieuseries » pour retrouver le sens réel d’un concept biblique hébreu et juif.

         Assurément, l’écriture médiatique et militante, puis l’écriture palestinienne, qui veulent dénoncer Israël pour être trop religieux, puisent dans les bondieuseries qui ont altéré la langue de la Torah pour altérer les propos d’Israël. 

 

L’éternel tout terrain

 

         Sans nous perdre dans les slogans publicitaires évoquant « l’éternelle jeunesse » que tel produit de beauté donnera à telle figure éphémère, il est utile d’observer l’usage que peut faire l’écriture médiatique et militante du mot « éternel » et du concept d’« éternité » hors de tout contexte biblique ou religieux.

         De « l’éternel perdant » à « l’éternel féminin » en passant par « l’éternelle question de la nature des relations israélo-palestiniennes[88] », se mêlent souvent agacement et admiration à l’évocation d’éternité. À titre d’exemples, quand le journal sportif l’Équipel titre « Regrets éternels » son commentaire du match de finale de la coupe du monde 2006 de football, resté célèbre pour le coup de tête de Zineddine Zidane, la chaîne de télévision Canal + présente un film intitulé « Pelé l’éternel », le Monde salue « Polnareff ou l’éternel retour », et Télérama accorde une double éternité à Éric Rohmer, « éternelle jeunesse du cinéma français » en couverture, « éternel jeune homme » en titre intérieur[89].

         La mort donne sans doute un caractère éternel à l’œuvre : ainsi en est-il encore de Jean Ferrat, dont on dira que « les chansons sont éternelles » en apprenant sa disparition en mars 2010. Mais l’insistance, la durée, semble aussi valoir éternité pour l’écriture médiatique et militante. Ainsi, la figure de Ralph Nader inspire à Libération le titre « Ralph Nader, éternel troisième homme[90]», et l’animatrice Pascale Clark qualifie le journaliste Alain Duhamel d’« éditorialiste éternel [91] ». Comme en écho, le jeune poète appliqué qui assistait l’animatrice artificiellement invisible d’« Un Café et l’addition » sur la chaîne de divertissement Canal + assurait dans une citation envolée qu’« est éphémère tout ce qui n’est pas éternel[92] ».

         Dans cette acception enfantine, « éternel » doit vouloir signifier « toujours » ; ainsi, une œuvre qui ne serait pas éphémère devrait durer pour toujours et l’écrivain suisse Jacques Chessex, dont l’œuvre était « tourmentée de bout en bout » selon Nathalie Crom de Télérama, serait, à sa mort à l’âge de 75 ans, un « éternel tourmenté »[93].

         Pour un journaliste, est souvent éternel ce qui accompagne sa propre carrière : ainsi Noël Mamère était-il, en termes médiatiques, « l’éternel rival de Dominique Voynet » quand bien même l’adhésion du premier aux thèses de la seconde était récent au moment où la rivalité entre eux émergeait dans un esprit journalistique ; Nicolas Sarkozy « l’éternel rival d’Alain Juppé » dans le cœur du président de la République française ; Line Cohen-Solal « la rivale éternelle de Jean Tibéri » aux élections municipales parisiennes.

         Un « conflit éternel », bien sûr, opposerait Yasser Arafat et Ariel Sharon ; le Tibet menait, au printemps 2008, un « éternel combat pour la liberté » (Bernard Guetta, France Inter, 18 mars 2008) pendant que Silvio Berlusconi – « l’éternel Berlusconi » selon le Monde du 11 avril 2008, « l’éternel séducteur » pour la chaîne Public Sénat (Magazine Déshabillons-les, 23 mai 2008) –, se lançait une nouvelle fois à la conquête des électeurs italiens, au point d’en paraître « inamovible » pour la rédaction de France 2.

          « Inamovible » serait ainsi synonyme d'« éternel » dans l'écriture médiatique, qui propose encore

« inoxydab le » (l'éditorialiste Alain Duhamel encore dans la bande annonce de l'émission Empreintes qui lui est consacrée sur France 5 en février 2011).

         Pik Botha fut « l’éternel ministre des Affaires étrangères d’Afrique du Sud » dans le portrait qu’en fait Caroline Dumay pour Le Figaro qui fixe ainsi l’éternité aux dix-sept années passées par Botha à ce poste et, si Catherine Bédarida affirme, pour le Monde télévision, que Théo Klein est un « éternel optimiste », le jeune homme politique français Olivier Besancenot propose, pour marquer la différence entre Arlette Laguillier et lui, qu’il ne serait pas « l’éternel candidat d’extrême gauche aux élections présidentielles »[94] ; un temps éternel d’ailleurs joliment réduit à un temps simplement durable par la responsable du parti Vert en Île de France Cécile Duflot : « Si son objectif (d’Olivier Besancenot), c'est de remplacer Arlette Laguiller et d'être durablement, comme ça, une espèce de petite image dans le paysage politique sans vouloir faire bouger les choses au niveau où on peut les faire bouger quand on est élu, je trouve ça bête »[95]

         Le journaliste Daniel Schneidermann qualifie pour sa part d’« éternel débat » dans sa profession celui qui consiste à savoir si l’on montre, ou non, les images violentes dont on dit aux téléspectateurs qu’elles sont violentes[96] et, quand le journal de France 2 estime que « le septième art est éternel », Michel Denisot propose sur Canal + que l’acteur américain Harrison Ford « atteint l’éternité » avec le quatrième épisode d’Indiana Jones. Dans la foulée, un autre divertissement de la même chaîne indique que « le goût de la pomme de terre paraît éternel », et l’espace info du même groupe organise un débat d’éditorialistes autour de la question « Les Chirac sont-ils éternels ? » [97]. Edouard Balladur, quant à lui, annonce que « le temps de la surpuissance américaine n’est pas éternel », et France 3 choisit les valeurs sûres en incrustant son écran du titre « Lourdes éternelle » pour illustrer un reportage sur le cent cinquantième anniversaire des visions de Bernadette Soubirou[98]. Plus terre à terre, la revue de presse de RFI saluera le footballeur et commentateur médiatique Lilian Thuram de « beau parleur devant l’éternel »[99].

 

         Autre sens de l’éternité dans l’écriture contemporaine, celui que lui donne la res publica : « Cinq ans, en politique, c’est une éternité », fait dire Oliver Stone, classé cinéaste rebelle par l’écriture médiatique et militante de l’histoire, à Richard Nixon qui, en 1963, doit attendre les élections de 1968 pour se présenter à nouveau ; pour Jack Lang, l’homme politique français que les médias évoquent souvent (tantôt agacés, tantôt nostalgiques) comme un « éternel ministre de la Culture » - avec une nuance intéressante sur France 5 où il apparaît comme « ministre emblématique, presque éternel », le Sénat est « une Assemblée éternellement orientée dans un sens »[100] ; et on note l’usage euphémistique de « pas éternellement » lorsque la ministre française de l’Économie Christine Lagarde indique, par médias interposés, au nouveau patron d’EDF Henri Proglio qu’il « ne sera pas éternellement président d’EDF et de Véolia »[101], « situation baroque » ou « double casquette », comme la désignait la presse, qui ne pouvait être que « transitoire ».

         L’opposé d’éternel pourrait donc être transitoire et on comprend alors qu’une publicité qui se veut "citoyenne" lance l’idée que « les droits de l’homme sont éternels » : « L’intolérance est éphémère… Les droits de l’homme sont éternels, 837 citoyens vous les offrent aujourd’hui », assurent en effet dans une pleine page de Libération du 9 décembre 1996 les signataires de la région de Grenoble souhaitant marquer leur opposition à la visite de Jean-Marie Le Pen dans la ville ce jour-là. 

         Sur un terrain plus proche de Jérusalem, Daniel Bensimon, du journal Haaretz, assure, six semaines avant les élections israéliennes de mars 2006, que « deux mois et demi, c’est une éternité dans le contexte israélien »[102], René Backmann évoque dans le Nouvel Observateur « l’éternel Shimon Peres[103]  », Bernard Guetta professe sur France inter que « Benyamin Netanyahou ne pourra pas éternellement s’opposer à Barack Obama[104] », et, dans un reportage illustrant, selon lui, « le malaise des Israéliens qui craignent de perdre le contrôle sur la partie arabe de Jérusalem », le journaliste d’Arte Stefan Amar indique que « la balance démographique commence à pencher en faveur des Arabes et rien ne dit qu’ils resteront éternellement loyaux envers l’État juif »[105]. Du moins la formulation tente-t-elle de proposer qu’ils le sont au temps T du reportage, diffusé sur la chaîne franco-allemande le 22 juillet 2009.

         Dans les milieux les plus vigilants à rappeler qu’Israël n’est pas éternel, en l’occurrence sur les ondes encore de la très catholique Radio Courtoisie où les « patrons d’émissions » n’ont de but que la conversion de Jacob à la religion de Paul, on se donne volontiers de l’éternel entre soi : ainsi le député français au Parlement européen Paul-Marie Coûteaux, par ailleurs favorable à doter les pays arabes de l’arme nucléaire pour contrer Israël, dit de l’historien Hervé Coutau-Bégarie qu’il est son « éternel complice »[106].

         À l’autre extrémité de l’antijudaïsme moderne, la porte-haine du Mouvement des Indigènes de la République (française) fustige « les écorchés du drapeau et les thuriféraires d’une France éternelle et gauloise », auxquels elle signifie : « La France ne sera plus jamais comme dans les films de Fernandel. Notre simple existence, doublée d’un poids démographique relatif (1 pour 6) africanise, arabise, berbérise, créolise, islamise, noirise, la fille aînée de l’église, jadis blanche et immaculée, aussi sûrement que le sac et le ressac des flots polissent et repolissent les blocs de granit aux prétentions d’éternité »[107] ; « prétentions d’éternité » qui fait mouche tous azimuts, au point que la diatribe d’Houria Bouteldja, active soutienne du Hamas et du Hezbollah en France (« Le Hamas et le Hezbollah sont des mouvements de résistance qui résistent » ; «  Le cheikh Yassine est un anticolonialiste qui lutte - qui a lutté, il en est mort - contre le colonialisme israélien » ; « la nazisme a créé des autoroutes »[108]), sonne comme juive aux oreilles catholiques d’un lecteur ‘‘gaulois’’: « Elle a bien compris ce que prévoit pour la France le projet messianique juif », lit-on en effet sur le forum que le Parti de l’In-nocence consacre au méchant « Va t’faire intégrer » de Boudeldja[109].

         L’hebdomadaire français Télérama invente « Les Éternels de Télérama » pour son festival de cinéma célébrant « les grands fils de jadis », « les éternels du cinéma », « une vingtaine de grands classiques » pour « comprendre mieux encore de quoi notre vieux monde est fait »[110].

         Sur le terrain économique, on assure régulièrement que « l’or est un éternel refuge »[111] et on doit hélas ajouter le recours intempestif à un étrange concept d’éternité proposé par l’avocat de Maurice Papon lorsqu’il estima devoir défendre son client jusque dans la tombe et « veiller personnellement à ce que (l’y) accompagne la croix de la légion d’honneur que Charles de Gaulle en personne lui a remise de ses propres mains pour l’éternité[112]  », confirmant si besoin, une fois son objectif réalisé, que la décoration pourtant retirée par la République « veillait sur l’âme de Monsieur Papon pour l’éternité ».

         L’éternité porte ici le poids redondant de la plaidoirie (« en personne », « de ses propres mains », « pour l’éternité »), l’auteur du propos n’ignorant pas que, la loi sur la Légion d’honneur contenant une procédure de radiation, la décoration est, de droit, privée de tout caractère éternel.



[1] Jean-Louis Schlegel, La loi de Dieu contre la liberté des hommes. Intégrismes et fondamentalismes, Le Seuil, 2003, p. 31. La même fausse analogie se trouve en p. 39.

[2] Frédéric Encel et Maurice Thual, Géopolitique d’Israël, Le Seuil 2004, poche 2006, p. 132-137 (132).

[3] ibid., p. 322.

[4] Respectivement : Bernard Guetta, Le 7-9, France inter, 5 janvier 2006 ; Patrick Saint-Paul, Le Figaro, 3 octobre 2005, p. 2 ; Gwanaëlle Le noir, Le 12-13, France 3, 5 janvier 2006.

[5] Jean-Christophe Victor, « Les évangéliques », Le Dessous des cartes, 5 septembre 2007. Le sens de cette évocation médiatique erronée (la Bible ne dessine en aucun endroit « les limites de l’État hébreu ») se veut critique de l’Israël contemporain et finit par être contradictoire. Jean-Christophe Victor explique en effet que les évangéliques sont « contre le retrait des Territoires occupés car (avec ces territoires) les frontières d’Israël se rapprochent des limites (de la Bible) » et qu’en conséquence, ils apportent un « soutien inconditionnel au gouvernement de Tel Aviv ».  

[6] Fiametta Venner, « Les Loubavitch ne veulent pas lâcher Gaza », Charlie-Hebdo, 5 janvier 2005, p. 7.

[7] La confusion est fréquente dans l’écriture médiatique la plus en pointe : l’animateur Ariel Wizman, fin lecteur de la Torah comme l’émission Judaïca sur France 2 le laisse voir avec bonheur, devait ironiser sur un rappeur hassidique new-yorkais dont les supplications auraient pour objet, selon lui, de « ramener celui qu’on attend tous, le messie, sur terre » (« Tentations.07 », Canal +, 24 mars 2007). Or, sauf à lancer un amical « Ramène-toi ! » au messie qui n’est encore pas venu, il n’y a évidemment que le messie chrétien déjà venu que des supplications pour le coup assurément non-hassidiques pourraient vouloir « ramener ». 

[8] Cf. « La bande de Gaza et la Halakha », Kountras, n° 56, juin 2004, p. 14.    

[9] Sur le jeu ambigu des évangélistes nord-américains face à Israël, voir : « Falwell n’est pas Ezéchiel »

[10] Cf. Yeshayahu Leibowitz,  « Terre d’Israël et État d’Israël », in Yeshayahu Leibowitz (dir.), Peuple, Terre, État, traduit de l’hébreu par Gérard Haddad et Catherine Neuve-Église, préface de Gérard Haddad, Plon, Paris, 1995, p. 168. 

[11] Cf. André-Marie Gérard, Dictionnaire de la Bible, Robert Laffont (Nihil obstat et Imprimatur catholique 1989), « Euphrate », p. 361-362.

[12] Par exemple Edouard Dhorme, traduction du Pentateuque dans La Pléiade (Gallimard, 1956), note sous Dt 1,7 (p. 510). Nous verrons qu’Edouard Dhorme fait partie des annotateurs qui se servent académique­ment du nom « Palestine », inconnu à l’époque biblique, pour commenter le texte qu’il traduit et qui porte, lui, les noms « Canaan » ou « Juda » (voir : « Le nom Palestine »).  

[13] Cette observation n’enlève rien à la réalité particulière d’Israël qui vit sous deux lois. L’ambiguïté contemporaine entre loi biblique et loi politique est cependant déformée par l’écriture médiatique et militante de l’histoire. Aucun tribunal d’Israël aujourd’hui n’invoquerait la Bible pour décider de la propriété de telle ou telle parcelle de la terre actuelle, qu’elle fut ou non d’Israël à telle ou telle période de l’histoire. En font notamment preuve les nombreux arrêts de la Cour suprême d’Israël qui exigent la correction du tracé du mur de protection lorsque celui-ci empiète sur le territoire virtuellement palestinien. Israël étant aujourd’hui un État laïque, les rabbins actuels qui voudraient contester les décisions du gouvernement et du parlement israéliens en matière de désengagement de telle ou telle portion de territoire, comme certains ont tenté de le faire lors du désengagement de Gaza voté par la Knesset, ne pourraient le faire en droit et devraient donc choisir, pour exprimer leur opinion, un autre terrain que le terrain juridique (cf. Jacquot Grunewald, « Israël : les rabbins peuvent-ils prendre

parti ? », L’Arche, n° 561, janvier 2005, p. 56-57).

[14] Cf. Didier François, « La révolution, c’est le retrait de Gaza », entretien avec Ilan Greilshammer, Libération, 28 novembre 2005, p. 5.

[15] La typographie, la ponctuation, les guillemets, le jeu des majuscules sont autant de traces de la pensée du rapporteur, en l’occurrence reporter. Sur un terrain plus théologique, on note parfois les majuscules que certains auteurs mettent aux pronoms se rapportant à Jésus, comme on le voit généralement pour Dieu. Ainsi, d’un Jésus divinisé, on écrit parfois qu’Il aurait dit ceci ou cela à Ses disciples. C’est la cas de l’auteur du Dictionnaire amoureux de Jérusalem (Plon, 2010), Jean-Yves Leloup, qui met ses majuscules pour Jésus dans la bouche d’un rabbin : « À la différence de beaucoup de nos rabbins d’hier et d’aujourd’hui, Il faisait ce qu’Il disait, Il disait ce qu’Il pensait et Il pensait ce qu’il état… » (cf. notamment p. 398, 405)    

[16] Cf. Marius Schattner, « Jérusalem, mythe et réalités », Le Monde diplomatique, novembre 2000.

[17] Cf. « A visage découvert », film documentaire consacré à Shimon Peres, Réalisation Ludovic Fossard, Galaxie Productions, 2007, France 5, 13 avril 2007.

[18] Amir Ben-David, « Leopold Weiss, alias Muhammad Asad, islamologue », Haaretz (non daté), extrait traduit en français dans Courrier International, 20 décembre 2001-2 janvier 2002, p. 56-58 (57).

[19] Ainsi, par exemple, Patrice Claude, « L’OLP veut punir de mort la vente de terres à des Israéliens », Le Monde, 13 mai 1997.

[20] Agnès Levallois et Sophie Pommier, Jérusalem. De la division au partage ?, Michalon, 1995, p. 19.

[21] Cf. Jennifer Schwarz, « La Bible est notre mandat », Le Monde des religions, n° 39, janvier-février 2010, enquête de neuf pages sur « Israël : Ces colons religieux qui défient la paix », titre en écho de celui du Monde 2 du 5 septembre 2009 : « Cisjordanie. Ces colons qui défient la paix » pour un reportage de dix pages intitulé « Au cœur de la Cisjordanie occupée ». La différence entre les deux titres du groupe Le Monde, dont le quotidien est lui aussi très engagé dans le « conflit israélo-palestinien » (voir par ailleurs dans les études publiées ici), réside dans l’adjectif « religieux » qu’ajoute naturellement Le Monde des religions au titre du supplément pourtant déjà dominical du Monde, et dans la désignation du lieu où sévissent les fauteurs de paix : Cisjordanie pour Le Monde 2, Israël pour Le Monde des religions ; nom politique et contemporain pour le premier, nom plus ambigu dès lors qu’également biblique pour le second. On relève d’ailleurs le souci de Jennifer Schwarz (ou du Monde des religions qui la publie) de préciser entre crochets l’expression « Judée Samarie » qu’utilise une des personnes citées dans l’enquête : Judée-Samarie serait ainsi une « référence aux royaumes juifs antiques correspondant à l’actuelle Cisjordanie ». Sur ce point, voir notre étude West Bank qui rappelle que Judée et Samarie ne sont pas, comme le raconte l’écriture médiatique et militante du « conflit israélo-palestinien », de méchantes références à un passé qui lui-même viendrait coloniser la Cisjordanie et défier la paix ; ce sont les termes en vigueur dans les documents officiels des Nations unies en 1947, notamment dans la résolution 181, jusqu’en 1949, date de l’annexion de la Judée et de la Samarie par le Royaume hachémite de Transjordanie. De même que c’est l’occupant romain qui a changé le nom de Juda et Palestine, c’est l’occupant transjordanien qui a changé le nom de Judée et de Samarie en Cisjordanie.

[22] Cf. Jean-Dominique Giuliani, « L’Europe mise à mal par le défi des frontières », www.robert-schuman.org, 31 octobre 2005.

[23] André Miquel,  Dictionnaire de l’islam. Religion et civilisation, Encyclopédie Universalis et Albin Michel, 1997, « Histoire et géographie », p. 355-359 (356).

[24] Cf. Ghassan Tuéni, in Jean Lacouture, Ghassan Tuéni et Gérard D. Khoury, Un siècle pour rien. Le Moyen-Orient arabe de l’Empire ottoman à l’Empire américain, série d’entretiens de mars à décembre 2001, Albin Michel, 2002, p. 260 ; Samir Kassir et Farouk Mardam-Bey, Itinéraires de Paris à Jérusalem. La France et le conflit isaélo-arabe, Les livres de la Revue d’études palestiniennes, Institut d’études palestiniennes, Washington, 1992. Dans le chapitre premier de cet ouvrage (« Une terre promise à la France », p. 16-43), les auteurs observent la partition de « la Syrie dans l’acception géographique du termes, c’est-à-dire des confins du Sinaï au Taurus » (p. 17), appelée aussi par eux « Syrie intégrale, Palestine comprise » (ibid.) ou « Syrie tout entière » (p. 33), lors de l’institution des deux mandats, l’un à la France sur le nord de cette « Syrie intégrale », l’autre à la Grande Bretagne sur le sud. L’idée d’un « partage de la Syrie » en amont du « partage de la Palestine » est très prégnante dans les études géopolitiques contemporaines. La formule est utilisée en septembre 2007 pour parler de la constitution des deux pays que sont le Liban et la Syrie dans leur conception moderne (… Les Enjeux internationaux, 13 septembre 2007).

[25] Cf. Jean-Michel Poffet, « La Bible et les fondamentalismes », entretien avec Henri Tincq à l’occasion de la semaine sainte des Pâques chrétiennes, Le Monde, 8-9 avril 2007, p. 12.

[26] La symbolique Nil-Euphrate touche encore Bernard Antony, l’un des pourfendeurs du judaïsme les plus en pointe du Front national et de l’extrême Radio Courtoisie, auteur notamment d’une histoire des Hébreux qu’il a voulu écrire, souligne-t-il sans fards, pour que les Casques Bleus sur la frontières israélo-libanaise « sachent à qui ils ont affaire ». Souhaitant situer Our et les Hébreux entre le Tigre et l’Euphrate, ibrim signifiant qu’ils ont traversé (notamment l’Euphrate), sa langue fourche et il les décrit comme « des nomades vivant sur les bords du Nil et de l’Euphrate » (Radio Courtoisie, Le Libre journal de la résistance, 2 novembre 2007).

[27] L’expression « Grand Pardon » qui sert parfois à qualifier la fête juive de Yom Kippour (littéralement « jour de kippour ») peut provoquer des confusions à certains égards proches de celles provoquées par l’expression « Grand Israël ». Le mot « grand » ne figure pas dans le contexte biblique lié à la fête de kippour. Des esprits autorisés s’interrogent sur la provenance de l’expression « Grand Pardon » : à Victor Malka (Maison d’étude, France culture) qui affirme en ignorer l’origine, le rabbin Gilles Bernheim propose que l’expression « vient sans doute du cinéma ». C’est ainsi un langage non biblique, peut-être médiatique, que propage le Dictionnaire encyclopédique du judaïsme (collection Bouquins Laffont et Le Cerf, 1996) en incluant le Grand Pardon avec double majuscule, parfois entre guillemets de citation mais sans source, dans ses définitions de Yom Kippour, de Kol Nidré (la prière qui en ouvre la cérémonie) et même de Yom Kippour qatan, qu’il traduit - ô oxymore ! - par « Grand Pardon mineur ». Le lecteur non averti peut arriver à imaginer que « yom = grand » comme, dans nos exemples précédents, « eretz = grand », d’autant que la représentation enfantine de la baleine de Jonas lui fait méconnaître le mot « grand » en hébreu (gadol : c’est en effet un « grand poisson » qui engloutit Jonas).     

[28] Viviane Forrester, Le crime occidental, Fayard, 2004, p. 80-85.

[29] Pierre Razoux, Tsahal, nouvelle histoire de l’armée israélienne, Perrin, 2006, p. 559.

[30] Dictionnaire encyclopédique Brepols, 1987, « terre », p. 1254-1255 (1255).

[31] Yasmina Hamlawi, « La Palestine, épicentre du “Nouveau Moyen-Orient” », Revue d’études palestiniennes, n° 102, hiver 2007, p. 55-61.

[32] Nous n’entraînons bien sûr pas Madeleine Rébérioux dans cette lecture, d’autant que cette phrase est extraite d’une recension très laudative du livre très anti-israélien de Kénizé Mourad, Le parfum de notre terre. Voix de la Palestine et d’Israël, Robert Laffont, 2003 (cf. Revue d’études palestiniennes, n/s n° 89, automne 2003, p. 102-105 [103].  

[33] Cette génération ne verra pas l’adamah « le sol que j’ai promis à Abraham, Isaac et Jacob » (Dhorme), « le pays » (École biblique de Jérusalem, Segond), « la contrée » (Rabbinat). Pour l’adamah de Dt 11,21, Dhorme traduit également par « le sol que Iahvé a juré à vos pères de leur donner », le Rabbinat opte aussi pour « le sol », Segond reste sur « le pays ».

[34] On peut suivre parfaitement le mouvement entre ces deux termes et concepts dans le travail systématique d’André Chouraqui, qui traduit eretz par « terre » et adamah par « glèbe », d’autres traducteurs tentant de rendre les nuances en se servant du mot « sol » pour eretz. Pour les différents usages de eretz et adamah, voir la notice de Jean L’Hour in Jean-Pierre Prévost, Nouveau vocabulaire biblique, Bayard, 2004, p. 47-48. On observe que, dans l’expression biblique « il détruisait à terre », qui rend l’idée de coïtus interruptus (voir : « Onan n’est pas catholique »), c’est le mot eretz qui est utilisé.

[35] Cf. 1S 13,19 ; 2R 5,2 ; I Ch 22,2 ; II Ch 2,16. Dans la Genèse, on trouve une forme presque déjà politique dans la bouche de Joseph emprisonné en Égypte et disant qu’il a été enlevé de eretz ha-Ibrîm, « du pays des Hébreux » (Gn 40,15). La terminologie suit ici la chronologie de la Genèse aux Livres historiques : Joseph, fils de Jacob donc fils d’Israël en tant que Jacob est Israël, ne se réfère pas encore à un peuple qui serait Israël ou benéi Israel (« les fils d’Israël ») et à une terre qui serait eretz Israel, expression qui ne peut avoir un début de sens qu’après l’Exode, au seuil de la conquête de la « terre (eretz) donnée aux benéi Israel » (Jos 1,2) et un sens véritable une fois les tribus issues des fils de Jacob-Israël installées sous les Juges et les Rois, d’où les usages de eretz Israel pour cette période.

[36] Cf. notamment Ex 13,17 où il est question, pour le peuple d’Israël quittant l’Égypte de contourner eretz Peleshtim sur le chemin de eretz Canaan et, à terme, eretz Israel. Pour l’origine hébraïque du nom Palestine, voir « Le nom Palestine ».

[37] Juges 20,1.

[38] Cf. notamment, Pierre Péan et Richard Labévière, Bethléem en Palestine, Fayard, 1999.

[39] MAPAI = Mifleget PoaléI Eretz Israel, « Parti ouvrier de la Palestine », traduit innocemment Michel Bar-Zohar en 1966 (Ben Gourion : Le prophète armé, Fayard, 1966, p. 63). 

[40] Jean-Pierre Langellier, « 1936-1947 La fin du mandat britannique. Une Palestine désirée, déchirée,

partagée », Le Monde, 10 décembre 2001 (Le Monde 2, 11-12 juillet 2004, p. 74-75).

[40bis] Cf. « Stéphane Hessel, Sisyphe heureux », Documentaire de Sophie Lechevallier et Thierry Neuville (France, 2010), Empreintes, France 5, 12 et 14 novembre 2010. Le Tribunal Russel pour la Palestine est un autre lapsus qui vient d'une mauvaise traduction : on Palestine (« sur la Palestine ») dit en effet le nom anglais de cette plate-forme qui n'en demeure pas moins pour la Palestine, ne travaillant qu'à charge contre Israël en dépit du nombre considérable de juristes qui la parrainent. La presse d’expression française garde d’ailleurs en général le « pour » (et le contre qui en découle) : voir l’allocution de Stépane Hessel à Lausanne le 8 octobre 2009.

[40ter] Cf. « La Poudrière du Proche-Orient : entre peur et espoir », « De Brooklyn au désert », « Des colons américains en Israël », trois titres pour une seule Thema, Arte, 2 novembre 2010. Dans une illustration magistrale de ses programmations soignées lorsqu’elles accompagnent un jour religieux, en l’occurrence le jour des morts suivant la Toussaint dans le calendrier chrétien (un phénomène que nous étudions notamment dans Qods Kadosk Caduc), la chaîne franco-allemande, très engagée contre Israël contemporain, avait fait précéder sa Thema à tiroirs du film Amen de Costa-Gavras, où l'on suit les collaborateurs de Pie XII évoquer tantôt « les perpétuelles jérémiades des juifs », tantôt leur situation durant la deuxième Guerre mondiale en termes de « crève coeur pour sa sainteté », et où l'on dit à Mathieu Kassovitz qui tente d’enrayer la machine nazie : « Ton orgueil et ton obstination sont en train de ruiner ton avenir ». Derrière Uri Schneider et ses « colons américains en Israël », la chaîne franco-allemande offrait encore ce soir-là un « Obama à l’épreuve. L’alliance américano-israélienne ». 

[41] Yeshayahu Leibovitz, Judaïsme, peuple juif et État d’Israël, traduit de l’hébreu par Gabriel Roth, Jean-Claude Lattès, Paris, 1985 p. 199. On se souvient que Leibovitz est l’auteur de l’expression : « Libérer Israël des territoires occupés ».

[42] Moïse Schwab, Le Talmud de Jérusalem, Maisonneuve, Paris, 1969. S’il est compréhensible dans le contexte ‘‘israélite français’’ de 1881, le souci de Moïse Schwab crée cependant une double confusion lorsqu’il palestinise la Judée en note d’un passage talmudique : « David n’était pas certain de pouvoir retourner en Palestine, d’où il avait été expulsé », note le traducteur sous Berakoth I, 231 (vol. I). Il s’agit en effet d’un commentaire lié à un passage biblique (1S 26,19) où David se trouve réfugié au pays des Philistins et se demande s’il va pouvoir retourner en terre de Juda : il est donc dans le pays des Peleshtim (bande côtière), qui est censé avoir donné plus tard, par englobement côtier, le nom Palestine à la Judée (voir « Le nom Palestine »).

[43] Saint Jérôme, lettre XLVI, 3 in Lettres, tome II, Les Belles Lettres 1951, publiée et citée par Eglal Errera, Le goût de Jérusalem, Mercure de France, 2003, p. 46-47.

[44] Juda Hallévi, Le Kuzari, Apologie de la religion méprisée, traduction de Charles Touati, Verdier, « Les Dix Paroles », Livre II,11, p. 46.

[45] Michel Bar-Zohar, op.cit., p. 46.

[46] Cf. Henry Laurens, La question de Palestine, t. 1 1799-1922 L’invention de la Terre sainte, Fayard, 1999, p. 535-536. Le texte de la réponse d’Herbert Samuel (Public Record Office, London, Foreign Office 371/5124) est cité d’après Patrick H. Mercillon, Ismaël-Israël, EPA, 1979, p. 82.

[47] Pour le passage de l’hébreu Pleshet ou Peleshet à l’occidental Palestine via le grec Philistia (lettre phi) puis Palestina (lettre pi), voir : « Le nom Palestine ».

[48] Liana Levi, Paris, 2000.

[49] On en trouve l’expression dans le Code théodosien (438) rédigé sous le règne de Théodose II (401-450) : cf. 7,13 et 14.

[50] Abraham Heschel, Les Bâtisseurs du temps, Minuit, 1957, p. 142-143, note 2. Les deux villes sont mises en parallèle dans une formule emphatique de Moses Hess qui, au risque de faire implicitement une analogie théologique impropre, propose explicitement un rapprochement historique entre la libération de l’Italie et celle de la Judée : « La libération de la Ville Éternelle du Tibre annonce la libération de la Ville Éternelle du Mont Moriah : la renaissance de l’Italie annonce la résurrection de la Judée » (cf. Rome et Jérusalem, La dernière question des nationalités (Leipzig, 1862), Albin Michel, 1981, p. 57).

[51] Cf. Isaïe 44,7, traduction et note de Jean Koenig pour la Pléiade.

[52] L’évocation de « tous les peuples soumis au sceptre de Jésus Christ » dans le contexte du baptême de Clovis et du « Testament de Saint Rémi » met en relief la rivalité théologique eschatologique que le christianisme a, très tôt, construite avec Juda autour de l’arrivée du messie et de la souveraineté de Juda jusqu’à cette arrivée, dont on sait que le christianisme dit qu’elle a été réalisée avec Jésus. La revendication chrétienne sur le sceptre de Juda est fondée dans l’exégèse d’un verset de la Genèse qui fait dire à Jacob, peu avant sa mort : « Le sceptre ne sera pas ôté de Juda (…) jusqu’à ce que vienne celui auquel il appartient et à qui est due l’obéissance des peuples » (Gn 49,10 version Dhorme). Intimement liée à la messianité de Jésus, la question du sceptre, demeuré à Juda dans la perspective juive, passé à Jésus dans la perspective chrétienne, sera quelques siècles plus tard au centre des disputes de Paris et Barcelone (1240, 1263), puis ranimée dans les années 1920, au moment où Israël reprend physiquement la souveraineté sur la terre du récit biblique. On la retrouve chez les écrivains engagés contre Israël que sont Gabriel Matzneff (Le Carnet arabe) et Régis Debray (Un candide en Terre sainte, À un ami israélien). Selon nous, elle guide, consciemment ou non, tous les projets d’internationalisation de la Palestine en général, de Jérusalem en particulier, l’internationalisation étant elle-même considérée dans son caractère eschatologique, substitut de la Rome éternelle évoquée par l’évêque de Reims dans le texte cité ici. Nous l’étudions dans « Jérusalem Est-Ouest, un enjeu européen ».

[53] Heschel, op. cit., p. 144-146. Les deux villes ne sont mises en parallèle que dans la littérature emphatique du XIXe siècle pour voir dans le retour de Rome celui de Jérusalem, par exemple par Moses Hess qui fait explicitement un rapprochement historique entre la libération de l’Italie et celle de la Judée : « La libération de la Ville Éternelle du Tibre annonce la libération de la Ville Éternelle du Mont Moriah : la renaissance de l’Italie annonce la résurrection de la Judée » (cf. Rome et Jérusalem, La dernière question des nationalités Leipzig, 1862, Albin Michel, 1981, p. 57).

[54] Sourate 11,105-108. Abdelwahab Meddeb, « (Le bonheur), un concept philosophique », La Vie, 29 mai 2008, p. 19.

[55] Cité par Monde et vie, 21 novembre 2009, p. 25.

[56] Jean-Paul II, Le jour du seigneur, Lettre apostolique Dies domini du 31 mai 1998, Bayard/Le Cerf, 1998, p. 15

[57] Ibid. p. 26. ().

[58] Xavier de Chalendar, prêtre du diocèse de Paris, La Vie, 3 avril 2008, cahier spirituel, p. 50-51.

[59] On trouve l’expression dans les années 1890 dans une opinion du journal jésuite Civiltà cattolica, dont l’historien Giuseppe De Rosa, lui-même père jésuite, devait constater qu’il avait mené une campagne contre les juifs au cours du XXe siècle, et changé d’orientation en 1965 seulement (cf. Giuseppe De Rosa, La Civiltà cattolica : 150 anni al servizio della Chiesa 1850-1999, La Civiltà cattolica, Rome, 1999, p. 93-94, cité par David Kertzer, Le Vatican contre les juifs. Le rôle de la papauté dans l’émergence de l’antisémitisme moderne, Robert Laffont 2003, p. 15).

[60] Le processus légal se fait en réalité deux temps. Le 28 juin 1967, le gouvernement décide l’application de la loi israélienne à « Jérusalem-Est », entité fictive créée par l’occupation et l’annexion par la Transjordanie de la Judée et de la Samarie, noms officiels du plan de partage pour ce qui devait être « l’État arabe » et sera appelé Cisjordanie (voir : West Bank). La loi proprement dite « Jérusalem capitale d’Israël » est adoptée par la Knesset le 30 juillet 1980 (cf. « Jerusalem Capital of Israel Law », Sefer Ha-Chukkim [Journal officiel] No. 980, 23 av 5740 [5 août 1980], p. 186). Son article premier dit : « Jerusalem, complete and united, is the capital of Israel ». Le mot « éternel » n’y figure pas. 

[61] Alain Gresh et Dominique Vidal, Les 100 clés du Proche-Orient, Atelier 1996, Hachette 2003, « Jérusalem », p. 333-338 (335). Dans les quelques lignes censées expliquer aux lecteurs le processus législatif signalé dans la note précédente, qu’ils font au demeurant remonter à 1949 et 1950, MM. Gresh et Vidal attribuent à la décision de 1967 les termes de la loi de 1980 en y ajoutant le mot « éternelle » qui ne figure ni dans l’une ni dans l’autre, puis cite correctement la loi adoptée en 1980.

[62] Bayard/Centurion, 1995, p. 16.

[63] Farouk Mardam-Bey et Elias Sanbar (dir.), Jérusalem. Le sacré et le politique, Actes Sud/Babel, 2000, p. 7.

[64] Benjamin Barthe, « La mairie de Jérusalem accélère les destructions de maisons palestiniennes “illégales” », Le Monde, 31 décembre 2006-1er janvier 2007, p. 6. Dans cet article, le journaliste utilise le même type de guillemets de distanciation ou de mise en doute pour expliquer sa position personnelle : « Pour désamorcer la “menace” démographique (entendre : prétendue menace / soi-disant menace) qui pèse sur ce qu’il considère comme sa “capitale éternelle et indivisible”, Israël use de nombreuses tactiques, dont la démolition de maisons ».

[65] Khalîl ‘Athâmina, « Le premier siècle de l’islam : Jérusalem, capitale de la Palestine », in Farouk Mardam-Bey et Elias Sanbar (dir.), Jérusalem. Le sacré et le politique, op. cit., p. 127-167.

[66] Jean-Marie Hosatte, « Au cœur de la Cisjordanie colonisée », Le Monde 2, 5 septembre 2009, p. 32-41 (34). Le reportage fait l’objet de la couverture sous le titre : « Cisjordanie. Ces colons qui défient la paix », un titre dont nous avons noté qu’il avait été copié/collé quelques semaines plus tard par Le Monde des religions, un autre organe du groupe Le Monde.

[67] « This morning, the Israel Defence Forces liberated Jerusalem. We have united Jerusalem, the divided capital of Israel. We have returned to the holiest of our Holy Places, never to part from it again » (site officiel du gouvernement israélien : www.mfa.gov.il).

[68] Cette étude n’ignore pas la dernière invention en date de la contestation d’Israël, tendant à nier l’exil de 135. Voir sur ce point : Claude Klein, « L’invention de Shlomo Sand », in Le Temps modernes, n° 655, septembre-octobre 2009, p. 71-89.

[69] Cf. André-Marie Gérard, Dictionnaire de la Bible, (nihil obstat et imprimatur 1989), Robert Laffont, 1989, « Jérusalem », p. 626-638 (631).

[70] Ibid., p. 634-637.

[71] Yves Teyssier d'Orfeuil, Michel Sabbah, Paix sur Jérusalem : propos d'un évêque palestinien, Desclée de Brouwer, 2002, p. 268.    

[72] Si « judaïté » et « judéité » sont parfois indistinctement utilisés – par exemple par Le Petit Robert (1996, 2003) pour, respectivement : « la condition de Juif » ou « le fait d’être juif » (majuscules et minuscules respectées) –, les mots « judéiser », « judéisation » n’appartiennent pas au vocabulaire français (cf. Dictionnaire de l’Académie, Dictionnaire CNRS de la langue française aux XIXe et XXe siècles, Grand Robert, Grand Larousse encyclopédique), qui connaît en revanche « judaïser », « judaïsation » pour « rendre juif » et « action de rendre juif », deux mots dont l’usage est « attesté dans des contextes racistes et antisémites » (cf. Le Grand Robert de la Langue française) mais utilisés dans la littérature militante. À titre d’exemples : la Ligue internationale pour le droit et la libération des peuples signale que le gouvernement israélien « met en œuvre en Galilée dès 1953 un plan pour la “judaïsation” des terres » (cf. Le dossier Palestine, La Découverte, 1991, p. 134) ; Alain Gresh et Dominique Vidal racontent « la “judaïsation” de Jérusalem » au lendemain de la guerre des Six-Jours (cf. Les 100 clés..., op.cit., p. 132) ; Joseph Algazy craint de voir « relancer le projet de “judaïsation” de la Galilée » (cf. « Le traumatisme persistant des Arabes israéliens », Le Monde diplomatique, octobre 2005, p. 16-17). On observe que, dans ces trois exemples, le mot est utilisé entre guillemets, comme s’il n’était pas exact ou si les auteurs souhaitaient s’en distancier ou se distancier de la connotation raciste et antisémite signalée par Le Grand Robert de la langue française. Le Monde diplomatique l’utilise parfois sans guillemets : ainsi de « la judaïsation instrument de confiscation de Jérusalem » (Dominique Vidal et Philippe Rakacewicz, « Comment Israël confisque Jérusalem Est », février 2007, p. 16-17) ; Courrier international en fait de même dans le même contexte pour sa traduction du journal palestinien Al-ayam qui évoque « la judaïsation de Jérusalem » (Talal Awkal, « Pas de solution envisageable sans le Hamas », Al-ayam, Courrier international, 26 octobre-1er novembre 2006, p. 41). Le récit universitaire aussi : pour le chercheur Jean-François Legrain, par exemple, « c’est en termes de judaïsation qu’il convient d’aborder la colonisation, dispositif central mais non exclusif de l’appropriation de la terre par le sionisme » (cf. « Judaïsation et démembrement : politiques israéliennes du territoire en Cisjordanie-Gaza [1967-1995] », Monde arabe, Maghreb, Machrek, n° 152, avril-juin 1996, p. 42-75.

[73] cf. Michel Abitbol, Les deux terres promises. Les juifs de France et le sionisme (1897-1945), Olivier Orban, 1989, p. 63.

[74] Études, t. 397, n° 4, oct. 2002, p. 347-357. Il est vrai que Michel Sabbah est un homme d’Église très engagé aux côtés des Palestiniens, politiquement et théologiquement très anti-israélien. Plusieurs de ses propos ignorent les rapprochements judéo-chrétiens des années 1965-2000 et les rapprochements israélo-palestiniens des années 1993-2000. Cet homme auquel les médias français accordent une grande audience s’exprime aussi très longuement dans l’ouvrage des journalistes Pierre Péan et Richard Labévière, qui lui donnent, au-delà des règles mêmes de l’Église, du « Sa Béatitude » tout au long de leur très catholique Bethléem en Palestine. Il est également revendiqué comme « (son) ami » par le militant national Bernard Antony, notamment sur les ondes de Radio Courtoisie.

[75] Cité par Michel Abitbol, Les deux terres promises, op. cit., p. 11.

[76] Paix sur Jérusalem, op. cit., p. 200. Pour la réfutation des approches théologiques du patriarche, nous nous référons à l’étude précitée du père Dujardin. Observons, pour notre part, que la relation faite ici entre « peuple nouveau » et « peuple palestinien » est purement circonstancielle dans l’esprit de Michel Sabbah puisqu’il développe en même temps l’idée que « pour un chrétien, il est sans doute plus facile de comprendre pourquoi et comment Dieu peut élire une personne (Jésus-nda), comment et pourquoi il peut lui donner sa grâce. Mais pourquoi élire un peuple ? » (p. 195).

[77] cf. Abdellah Hammoudi, Une saison à La Mecque, Le Seuil, 2005, p. 175.

[78] Tahar Gaïd, Al-Baqara, Étude et exégèse de la deuxième sourate du Coran (La Vache), Iqra, La Ruche, Paris, 2001, commentaire des versets 90 et 91 sous le titre « Refus de croire en la dernière révélation », p. 70-71 [71]).

[79] Ibid., p. 221.

[80] Cf. I S 10, 26-27. Le texte source distingue « les honnêtes gens » ou « hommes valeureux » selon les traductions de Segond ou Dhorme (ceux qui suivent Saül, désigné par l’intermédiaire de Samuël), des « pervers » ou « vauriens » (qui ne reconnurent pas le roi). Il est probable que Mohammed transmette correctement le récit juif, l’ajout de l’ergoterie et l’interprétation permettant d’assimiler Mohammed à Saül étant théologiquement ultérieure (Gaïd cite Tabari mais ne communique pas la texte de Tabari évoqué).

[81] Ibid., p. 229.

[82] IS 15,24-26.

[83] IS 28,15-20.

[84] Betty Rojtman fait de Saül un roi shakespearien dans Le pardon à la lune. Essai sur le tragique biblique, Gallimard, 2001.

[85] Cf. Luc Beyer de Rike, « Libre journal de Philippe de Saint Robert », Radio Courtoisie, 31 janvier 2006. Nous avons indiqué ailleurs que la radio d’extrême droite française était une source de travail très riche sur la question du « conflit israélo-palestinien » et du conflit judéo-chrétien. Au sein de la station, le journal de Philippe Saint Robert est l’un des plus anti-israélien. C’est sur son plateau qu’Alain Ménargues, jusqu’alors directeur de la rédaction de RFI, avait présenté Le mur de Sharon et perdu la confiance de ses confrères pour des propos violemment anti-juifs. La précision sur la formation catholique de Beyer de Rike, présentateur pendant dix-huit ans du 20 heures de la télévision belge, est donnée par le journal communiste français L’Humanité (14 juin 2005) : « Enfant d’une famille patricienne de Gand, élève des “bons pères”, élu du Parti libéral (de droite), présentateur du 20 heures à la télé belge, Luc Beyer de Rike s’en va explorer le monde muni d’une identité qui ne le fait pas pencher au départ du côté des mouvements d’émancipation qui soulèvent les empires coloniaux », annonce L’Humanité pour expliquer l’engagement palestinien apparemment paradoxal de ce confrère, un engagement précoce (1988) qui, précise le quotidien communiste, lui avait fait perdre son poste de député européen (cf. http://www.humanite.presse.fr/journal/2005-06-14/2005-06-14-808497). Si L’Humanité ignore ces choses-là par essence, l’observateur du fait religieux et du fait palestinien sait que le lien entre engagement catholique et palestinien n’est nullement paradoxal : il remonte aux années 1920 et est construit sur le refus théologique de voir Israël recouvrer la moindre souveraineté sur la terre de Juda (voir sur ce site : « Le testament de Jacob »).

[86] Voltaire cite lui-même « Genèse, chapitre XIII, v. 14 et 15 » cette tirade qui lui est pourtant propre. Le texte source dit une seule fois « pour toujours ».

[87] Cf. [Antoine Guenée, abbé], Lettres de quelques juifs allemands et polonais à Monsieur de Voltaire, 4e édition, Moutard, Paris, 1776, tome II, p. 288-294 (293).

[88] Cette dernière expression tombe sous la plume d’Ilan Halevi, ministre de divers portefeuilles et conseiller multiple du Fatha, de l’OLP et de l’Autorité palestinienne, dans « La queue du chien », une chronique publiée dans la Revue d’études palestiniennes, n° 101, automne 2006, p. 102-104 (102).

[89] Respectivement : L’Équipe, 10 juillet 2006, page une (titre non prophétique : on sait que la critique contre Zidane et les regrets, en effet, qu’on pouvait avoir devant son incivilité devait être emportée dès le lendemain par une vague de sympathie populaire pour son acte) ; « Pelé l’éternel », film documentaire de Anibal Massaini Neto (Brésil, 2005), Canal +, 2 août 2006 (« “Pelé l’éternel” propose de revisiter la légende Pelé », écrit ainsi Le Monde, 30-31 juillet 2006, supplément TV-Radio, p. 15) ; Le Monde, 18-19 juin 2006, p. 15 ; Télérama, 20 janvier 2010, page une et 20.

[90] Libération, 20 octobre 2004.

[91] En Aparté, Canal +, 7 janvier 2006.

[92] Nicolas Rey, « Un café et l’addition », Canal plus, 7 juin 2008.

[93] Hommage à Jacques Chessex, Télérama, 21 octobre 2009, p. 69.

[94] Respectivement : Le Figaro, 29 août 2007 ; Le Monde télévision, 30 septembre-1er octobre 2007, p. 7 ;  En Aparté, Canal +, 5 février 2007.

[95] AFP, 20 janvier 2010.

[96] En l’occurrence d’un acte de torture dans les prisons égyptiennes, AS1, 28 janvier 2007.

[97] Cf. respectivement : « Le goût perdu de la pomme de terre » (on observe le lien, sans doute involontaire, entre le goût perdu et le goût éternel), reportage, L’Edition spéciale, Canal plus, 3 décembre 2009 ; débat entre Nicolas Domenach et Eric Zeymour, I-télé, 16 juin 2008.

[98] Cf. respectivement : entretien avec Alain Finkielkraut et Hubert Védrine, Répliques, France culture, 27 janvier 2008 ; France 3, 12-13, 15 août 2008.

[99] Benoît de la Solminiac, RFI, Revue de presse, 2 août 2008.

[100] Respectivement : Elisa Coudray, C politique, France 5, 1er novembre 2009 (voir emblématique in K1 ou K2) ; Jack Lang, Revu et corrigé, France 5, 25 mai 2008.

[101] « 13 h 15 le dimanche », France 2, 24 janvier 2010.

[102] Radio Shalom, 17 janvier 2006.

[103] Le Nouvel Observateur, 12-18 janvier 2006, p. 46.

[104] France Inter, 1er juin 2009. Observation prononcée dès avant le célèbre « Discours du Caire », dont le chroniqueur devait indiquer avec la distance qui sied : « On enrage de ne pas pouvoir tout citer. Obama peut-il changer la donne ? Pas à coup sûr, mais oui, absolument » (Bernard Guetta, ibid., 5 juin 2009)..

[105] Arte info, 22 juillet 2009. Le reportage illustrait la tension entre centres aérés pour enfants palestiniens selon qu’ils étaient aux mains d’islamistes ou de nature privée.

[106] Cf. Le Libre journal de la nuit, Radio Courtoisie, 21 mai 2008. La position de M. Coûteaux sur l’armement du « camp arabe » fut exprimée en ces termes devant le Parlement européen le 16 avril 2004 : « Je n'hésite pas à déclarer que nous devons envisager de fournir au camp arabe une force suffisamment importante, y compris une force nucléaire suffisamment importante, pour convaincre Israël qu'il ne peut pas simplement faire ce qu'il veut. C'est la politique que poursuivait mon pays (la France, nda) dans les années 1970 quand elle a fourni à l'Irak une force de frappe nucléaire ».

[107] Houria Bouteldja, « Elisabeth, va t’faire intégrer ! », site du Mouvement des Indigènes de la République, via http://patrimages.over-blog.com/article-36172894.html, 17 septembre 2009.

[108] Cf. pour le Hamas et le Hezbollah : Ce soir (ou jamais !), France 3, 21 juin 2007, cité par wikipedia.org (Houria Bouteldja) ; pour cheikh Yassine et les autoroutes nazies, entretien lors d’une marche du Mouvement des Indigènes de la République, 8 mai 2008, dailymotion.com, 9 mai 2008.

[109] Forum public du Parti de l’In-nocence sous le titre de « Nous transformons la France », http://in-nocence.org/public/read.php?3,38974, message de « PhiX », 17 septembre 2009.

[110] Cf. Télérama, 19 mai 2010, p. 64. Parmi ces éternels-là, Manhattan de Woody Allen, Les Vacances de M. Hulot, de Jacques Tati, Il était une fois la révolution de Sergio Leone…

[111] Le Monde, 13-14 janvier 2008, supplément “argent !”, p. 3

[112] Francis Vuillemin, enregistrement téléphonique, journal de France 3 (12-13), 19 février 2007.