Olivier Russbach

WEST BANK

        « Judée » et « Samarie » sont « les noms bibliques de la Cisjordanie », assure l'écriture médiatique et militante de l'histoire, « les noms fictifs qu’Israël a donnés à la Cisjordanie en 1967 et depuis ». « Cisjordanie » en français, « West Bank » en anglais sont les vrais noms de la Judée et de la Samarie, poursuit-elle ; du moins les vrais noms politiques, juridiques, internationaux.

        Cette présentation est erronée, contraire aux textes historiques et onusiens. Elle doit être étudiée dans ses dimensions militantes ; mais aussi juridiques et géopolitiques.


Histoires de fictions 

 

        « Depuis 1967, la Cisjordanie s’est métamorphosée sous les coups de l’occupation au point d’en perdre son nom et de devenir fictivement la Judée-Samarie »[1]. Ce mot déjà ancien d’Olivier Mongin, directeur de la revue Esprit, fait les délices d’une brochure de l’École Moderne qui le cite à l’appui d’une dénonciation, récurrente dans les publications militantes palestiniennes, du fait que « les sionistes désignent la Cisjordanie comme la “Judée-Samarie”».

         L'appréciation ignore que le nom « Cisjordanie » avait pour seul objet de désigner l’occupation jordanienne de la Judée et de la Samarie, de 1949 à 1967.

        Le mot Cisjordanie, au sens littéral, n'était idéalement (idéalement dans une perspective palestinienne bien comprise) pas destiné à devenir un nom propre. S'il l'est néanmoins devenu, c’est précisément pour recouvrir les noms de Judée et de Samarie, nullement pour faire de cette région l'embryon de ce qui pouvait devenir l'État arabe prévu dans la résolution 181.

        Il ne s'agit pas, ici, de préconiser un retour des noms recouverts, mais de nous interroger sur le nom « Cisjordanie » et le sentiment que ce nom, d'inspiration britanico-jordanienne, peut de quelque façon symboliser l'identité palestinienne. Ce sentiment est si installé dans les consciences qu'il en est venu à s'imposer dans l'écriture médiatique et militante du « conflit israélo-palestinien ».

         Là où le directeur d’Esprit voit du fictif, l’écriture médiatique et militante voit du biblique (« Judée et Samarie sont les anciens noms bibliques de la Cisjordanie »), parfois du judaïque (« Judée-Samarie est une référence aux royaumes juifs antiques »), parfois même du partisan connoté, par opposition au « politiquement neutre » que serait le nom Cisjordanie.  

         Or, si les deux régions connues sous les noms de Judée et de Samarie le furent assurément par la Bible hébraïque et le Nouveau Testament, elles le furent aussi par les textes romains, politiques ou littéraires, des discours de Cicéron aux chroniques de Suétone en passant par les histoires de Tacite. Elles le furent aussi des classiques, et ni Corneille ni Racine n’en devinrent fictivement sionistes pour autant ; elles le furent encore des politiques qui, de 1937 à 1947, étudièrent les divers plans de partage sans recouvrir les noms de Judée et de Samarie par celui de Cisjordanie, alors pas encore émergé du vieux fleuve.

        Pour qui la lit dans le texte, la résolution 181 de l’Assemblée générale des Nations unies appelle encore en 1947 la Judée et la Samarie de leur nom historique. Assurément aussi, la Judée et la Samarie sont encore appelées par leur nom dans le projet de partage de 1947, qui les place dans le territoire du virtuel État arabe de la résolution 181.

 

L’entité Judée-Samarie

 

         Il est possible que le caractère « fictif » de l’expression soit la conséquence du rapprochement fictif des deux noms en un seul, Judée et Samarie devenant en 1967 « Judée-Samarie ». La raison en est que « Judée-Samarie » remplace alors « Cisjordanie », nom lui-même fictivement donné à la région investie par la Transjordanie en 1949.

        L’écriture médiatique et militante écarte en effet la période d’occupation transjordanienne des deux espaces, période durant laquelle précisément les noms Judée et Samarie ont été recouverts par celui de Cisjordanie. Sans nous préoccuper ici des aspects juridiques de l’occupation hachémite puis de l’occupation israélienne de la zone désignée « Cisjordanie » et/ou « Judée-Samarie », nous pouvons observer qu’Israël ne donne pas, en 1967, un nom biblique égaré dans un vieux testament, mais rend aux deux territoires alors brièvement appelés « Cisjordanie », leurs noms d’origine ; noms bibliques sans doute, mais aussi noms sous lesquels ils étaient connus jusqu’en 1950 par les livres d’histoire, les auteurs de l’Antiquité, les classiques, les atlas de l’École laïque, les pèlerins de diverses religions ainsi que par les autorités officielles internationales, notamment l’ONU.

         Pour être bibliques, hébraïques à l’origine en ce qu’on les rencontre dans la Torah avant de les voir dans le Nouveau Testament, la Judée et la Samarie sont en effet, et au même titre que la Galilée, également des espaces géographiques qui n’ont jamais cessé d’être appelés ainsi, parfois administrativement désignés ainsi, y compris durant l’empire ottoman et le mandat britannique.

         La Judée était certes connotée dans son nom même (Juda, fils de Jacob-Israël), et on a observé déjà que les deux religions suivant le judaïsme préféraient la terminologie palestinienne, recouvrant le nom « Israël », pourtant connu avant la Bible hébraïque, dès la vieille stèle de Merenptah, du nom « Palestine », inventé dans l’acception palestinienne contemporaine par l’empereur romain Hadrien comme marque de sa victoire sur Israël. Mais la Samarie n’a jamais cessé d’être désignée sous son nom jusque dans les rangs palestiniens au sens contemporain.

         Dans son Histoire de la Palestine 1896-1940, Kayyâli relate les événements de 1936 et ignore bien sûr toute entité qui pourrait s’appeler artificiellement (et alors de manière anachronique) « Cisjordanie » : c’est ainsi qu’il évoque des incidents meurtriers dans la région de Tulkarem et Bala (au nord-ouest de ce qu’on peut appeler « Cisjordanie » aujourd’hui) et écrivant qu'ils « transformèrent la grève calme qui se déroulait en Samarie en une révolte sur tous les fronts[2] » ; en juin 1939, la Samarie est encore une entité administrative, rappelle Elias Sanbar qui observe que des pièces d’identité sont alors « délivrées dans les cinq districts de Jérusalem, Gaza, Samarie, Haïfa et Galilée[3]  » ; en 1948, durant la guerre menée par les pays arabes contre Israël au lendemain de sa proclamation comme État, les districts de Samarie et de Judée sont encore appelés de leur nom respectif par les troupes proches des futurs Palestiniens, en l’occurrence la Légion arabe dont le chef Glubb Pacha rapporte dans ses mémoires que « les trois zones que la Légion arabe était chargée de défendre formaient les trois districts de Samarie, de Judée et d’Hébron », précisant que Naplouse était « la capitale du district de

Samarie »[4] ; en 1949 encore, peu avant l’annexion de la Samarie au Royaume hachémite, les troupes irakiennes qui participaient à la guerre contre Israël s’engageaient notamment dans « une opération pour défendre la Samarie », explique Marc Lavergne dans des lignes si peu favorables à la toponymie israélienne qu’il les titre « La création d’Israël, désastre fondateur »[5].

 

Noms bibliques

 

         L’aversion suscitée en milieu militant palestinien par les noms Judée et Samarie – qui ne seraient que

« noms bibliques » et (en conséquence, sans doute) « fictifs » – est intéressante en ce qu’elle trahit une volonté de nier autant la référence au passé juif (judéen) de cette terre, que la permanence de ces noms dans le langage géopolitique de 135 à 1950. Le déni est si intense que l’écriture médiatique et militante préfère se servir du nom donné à cette terre lors de son annexion récente (1949-50) par le Royaume hachémite que des noms connus antérieurement à cette annexion (par ailleurs illégale, jamais acceptée par la communauté internationale), antérieurement au partage et au sionisme, biblique ou politique.

         Observons la velléité des auteurs prompts à dénoncer le caractère « biblique » des noms Judée et Samarie et à en ignorer ainsi le caractère géopolitique et légal si l’on veut bien admettre que les textes issus des Nations unies ont un caractère légal.

         Dans Le grand jeu (1991), Henry Laurens assure que les Israéliens « suppriment la toponymie arabe pour la remplacer par des noms bibliques comme Judée et Samarie » : il fait alors œuvre militante et idéologique car il n’ignore pas que Judée et Samarie étaient aussi, à peine vingt ans avant 1967, des noms administratifs faisant partie de la toponymie arabe comme de la toponymie onusienne[6]. Quand en revanche le même Henry Laurens donne à la Judée et à la Samarie le nom de Cisjordanie pour la période de 1948-1949, donc avant même que l’histoire et leur annexion par la Transjordanie ne le leur donnent, c’est lui qui supprime la toponymie officielle encore en vigueur pour la remplacer à l’avance par la toponymie militante : selon lui, en effet, « la guerre d’indépendance (de 1948-49) n’avait pu réaliser la conquête de la Cisjordanie », ce que semblent indiquer également Alain Gresh et Dominique Vidal qui, dans leurs 100 Clés du Proche-Orient, assurent que « territoire situé sur la rive ouest du Jourdain, la Cisjordanie fait partie de la Palestine sous mandat britannique », quand bien même la Cisjordanie n’existe pas comme entité territoriale propre durant le mandat[7].

         Le Monde recouvre lui aussi les noms Judée et Samarie de l’attribut erroné, du moins lorsqu’il est exclusif, de « bibliques ». Ainsi, lorsque Gilles Paris, correspondant du quotidien français à Jérusalem au début du XXIe siècle, évoque le Conseil représentatif des colons de Judée, Samarie et Gaza dans le contexte de l'évacuation de Gaza par Israël en août 2005, il précise entre crochets à l'attention de ses jeunes lecteurs que Judée et Samarie sont « [les noms bibliques de la Cisjordanie] » et, un an plus tard, son collègue Michel Bôle-Richard confirme : « (En 1967), l’appellation “Cisjordanie” (ou “West Bank” en anglais) a été remplacée par Judée et Samarie, noms bibliques du territoire », laissant le destinataire de cette précision dans l'ignorance qu'à peine vingt ans avant le prétendu « remplacement », Judée et Samarie étaient aussi des noms onusiens [8].

 

Une toponymie médiatique et partisane

 

        Le contexte de cette affirmation incomplète et historiquement courte en souligne le caractère partisan. La ministre israélienne de l’éducation venait en effet de décider que les livres scolaires, qui jusque-là ne mentionnaient que les noms de Judée et Samarie, feraient désormais état de la Cisjordanie d’avant 1967 : « L’histoire fait partie de la géopolitique dans laquelle nous vivons », assurait Yuli Tamir, citée par Le Monde ;

« La “ligne verte” fait un retour houleux dans les manuels », retenait le titre du papier de Bôle-Richard, la droite israélienne et certains religieux s’étant opposés à l’initiative de la ministre travailliste.

        Or, pour être complet, et quand bien même ce n’était pour la ministre ni le lieu ni le temps de le rappeler, le Monde pouvait indiquer deux choses à ses lecteurs : d’une part : avant de s’appeler Cisjordanie, le territoire visé portait les noms de « Judée » et de « Samarie », et ces noms ne tombaient pas du ciel ; d’autre part, à l’Est de la ligne verte de 1949, les noms Cisjordanie puis Jordanie avaient eux-mêmes longtemps occupé l’espace au détriment des Palestiniens.

        Cela aurait été, pour le journal, l’occasion de rappeler que le royaume hachémite s’était approprié dès 1949 l’État arabe virtuel prévu dans la résolution 181 de l’ONU et qu’il n’avait accepté que tardivement, contraint et forcé entre 1988 et 1993, la souveraineté de l’OLP puis de l’Autorité palestinienne sur cette terre. Cette souveraineté s’est affirmée entre 1974 (sommet de Rabat et réception d’Arafat à l’ONU) et 1993 (Accords d'Oslo), mais Amman a mené une très longue résistance[9].

        Le même journal, qui couvrait en 1951 la situation des réfugiés palestiniens dans la Samarie alors occupée par la Jordanie, évoquait encore les noms que la jeune garde du Monde ne présenterait que comme de vieux noms bibliques un demi-siècle plus tard : « La Jordanie est formée de montagnes arides et de déserts », écrivait en effet Tibor Mende dans Le Monde du 21 avril 1951 en ouverture de son enquête à Jéricho, Amman, Bethléem, Jérusalem et à « Naplouse parmi les olivaies de Samarie ». La Samarie était donc, sans qu’une éventuelle ministre jordanienne s’en inquiète, englobée dans la seule appellation « Jordanie »[10].

        En 1977, le Monde encore jouait à cache-cache avec ces fameux « noms bibliques ».

        Rapportant la visite de Sadate à Jérusalem, il évoquait l’improbable « renonciation (par Begin) à la Cisjordanie, où il ne veut voir que la Judée et la Samarie, israéliennes par définition »[11]. Dût-il indiquer parfaitement l’état d’esprit du journal dans la critique agacée qu’il entend adresser au gouvernement israélien, le qualificatif « israéliennes par définition » est inapproprié à la réalité politique et militaire du XXe siècle. Sans même avoir à regretter une expression qui fait bien peu de cas des conflits historiques et à certains égards fondateurs entre Juda, Samarie et Israël aux temps des Rois, la Judée et la Samarie n’étaient en effet nullement « israéliennes par définition » aux yeux d’un État qui, dix ans après la Guerre des Six jours, ne les avait précisément pas annexées, contrairement à la Transjordanie qui les avaient annexées dans la foulée de la guerre de 1948-49.  

        En ironie boomrang, et si l’on quitte le terrain israélien au sens moderne du nom, « israéliennes par définition » est en revanche une expression appropriée pour des terres par définition intimement liées à l’histoire d’Israël, histoire biblique et politique confondues. Rappelons que la guerre d’Israël contre Rome et le bannissement d’Israël de sa terre par Rome sont des faits historiques, le récit biblique s’arrêtant au plus large aux Maccabées / Asmonéens[12].

        À l’instar du Monde, le quotidien français Libération replonge dans son catéchisme pour expliquer les paroles d’un vigneron israélien de quarante-neuf ans qui évoque « la croissance naturelle en Judée-Samarie ». Delphine Matthieussent ajoute en effet une note de la rédaction indiquant à ses lecteurs qu’il s’agit d’une « référence aux royaumes juifs antiques correspondant à l’actuelle Cisjordanie »[13].

 

Une toponymie historique et onusienne

 

         On peut assurément préciser, et en particulier depuis 1967, que la Judée et la Samarie, incluses en 1947 dans le territoire du virtuel État arabe de la résolution 181, sont les noms qu’utilise Israël pour ce qui était devenu entre-temps, de 1949 à 1967, la Cisjordanie : par exemple, dans un article de janvier 1973, repris dans le Monde des 21-22 juillet 2002, Eric Rouleau mentionne « la Judée et la Samarie » et précise entre parenthèse que « les Israéliens appellent ainsi la Cisjordanie ».

        C’est en les définissant de bibliques, ou exclusivement bibliques, ou moins neutres que Cisjordanie, que l’écriture médiatique et militante ajoute une dimension palestinienne erronée.

         Dans Un mur en Palestine (2006), le journaliste René Backman estime en effet que « Cisjordanie » est un nom « politiquement “neutre” » (ses guillemets pour neutre) alors qu’est « très claire en revanche la référence biblique de la formule “Judée-Samarie” ». Cisjordanie serait « politiquement neutre », selon le rédacteur en chef au Nouvel Observateur, parce qu’il « apparaît dans les documents officiels internationaux » ; Judée-Samarie ne serait que « formule » parce que « présent à la fois dans les documents officiels du gouvernement israélien et dans le vocabulaire des colons ou de leurs partisans »[14].

         Or, le contraire est aussi vrai si l’on remonte (à peine) aux textes des Nations unies de 1947 : les noms Judée et Samarie apparaissent dans les documents officiels internationaux (dont la résolution 181 répartissant les espaces entre les futurs État juif et État arabe) bien avant que ne soit inventée la formule « Cisjordanie », qui y apparaît en conséquence bien plus tard.

        Ce nom, présenté aussi par René Backman comme signifiant « Ouest du Jourdain, d’où l’équivalent anglais West Bank », signifie en réalité « en deçà du Jourdain » et s’oppose en miroir à « Transjordanie » (au-delà du Jourdain) sans considération des points cardinaux : le préfixe trans- ne signifie pas davantage Est que le préfixe cis- signifierait Ouest.

         Le caractère fictif de la formule « Cisjordanie » est observable dans son inversion possible selon qu’on voit ce territoire de Londres ou de Amman.

 

Le syndrome Est-Ouest

 

        Dans la perspective européenne de l’époque, suivant en cela la perception hébraïque, la Judée et la Samarie sont en deçà du Jourdain, Amman au-delà, d’où Transjordanie, Transjordan en anglais, une fois le Jordan traversé ; mais, dans la perspective de l’occupant hachémite de la Judée et de la Samarie durant les années 1949-1967, Amman est en deçà du Jourdain, la terre qu’il occupe est au-delà. À cet égard, « Cisjordanie » est un nom européen, occidental au sens propre. Vues d’Orient, en l’occurrence de Amman, la Judée et la Samarie ne peuvent être que transjordaniennes.

         Les expressions Ciscaucasie et Transcaucasie, qui distinguent respectivement le Nord et le Sud du Caucase, disent le point de vue, au sens littéral, d’où l’on parle, en l’occurrence celui de la Russie. La Ciscausie n’est pas « à l’ouest du Caucase », ce qui rappelle au besoin que la Cisjordanie n’est qu’incidemment à l’ouest du Jourdain. L’appellation russe pour Ciscaucasie est très explicite : le nom Predkavkazie est formé en effet de

pred-, qui signifie devant[15], et de Kavkaz, nom russe de la montagne prométhéenne.

         Le vocable cisalpin, qu’on trouve notamment dans la « Gaule cisalpine », nom donné par les Romains au Nord de l’Italie, ne s’entend pour sa part que comme nom romain, et ne distingue en l'occurrence nullement un Est d’un Ouest, mais un Nord d’un Sud.

         En Afrique du Sud, la région située entre le Vaal et le Limpopo s’appelle Transvaal et, l’appellation étant d’origine boer, le Transvaal est au Nord du Vaal en venant du Cap, au-delà du Vaal, une fois le Vaal passé. En termes géographiques, c’est donc le contraire des cis- et trans- caucasiens ou alpins ; mais en termes linguistiques, un processus identique de désignation est à l’œuvre, le mot clé restant la traversée, le passage.         

        Aussi longtemps que le Caucase, les Alpes ou le Pô ne sont pas traversés, le locuteur est en Ciscaucasie, en Gaule cisalpine ou en Cispadane, puisque aussi bien la Gaule cisalpine contient une Cispadane et une Transpadane.

        La traversée et le passage sont aussi ce qu’indique la Bible hébraïque qui se réfère à « l’au-delà du Jourdain » (’éver hayarden), mais toujours du point de vue de Jérusalem. Ainsi, « au-delà du Jourdain », « beyond Jordan », « across the Jordan » est toujours à l’Est du Jourdain. Moïse, c’est bien connu, n’a pas passé le Jourdain, mais c’est « au-delà du Jourdain », en terres de Moab, qu’il s’adresse aux Hébreux (Dt 1,1). De même Josué et les Hébreux, avant d’entrer en terre de Canaan, campent « au-delà du Jourdain, face à Jéricho » (Nb 22,1).

        Dans la répartition des terres, certaines tribus reçoivent leurs parts « au-delà du Jourdain », qui se distingue alors du « pays de Canaan » (Nb 32,32 ; 34,15 ; 35,14), quand bien même l’enterrement de Jacob (Gn 50) a lieu à la fois « en terre de Canaan » et « au-delà du Jourdain » : de fait, sous la conduite de Joseph, le corps de Jacob est ramené d’Égypte au pays de Canaan, par définition pas encore pays d’Israël et, au lieu dit Goren haAtad (« L’Aire de l’épine »), la convoi funéraire s’arrête, observe un deuil de sept jours qui impressionne « l’habitant du pays, le Cananéen » au point qu’il s’en souvient comme du « deuil solennel des Égyptiens » et appelle le lieu « Abel Misraïm », dont le texte de la Genèse nous dit une nouvelle fois qu’il est « au-delà du Jourdain ».

        L’expression est si fréquente dans les cinq premiers livres de la Torah que, dans sa traduction pour La Pléiade, Edouard Dhorme rappelle à chaque fois qu’elle doit s’entendre comme « du point de vue de la Palestine » ou « pour quelqu’un qui se trouve en Palestine », faisant sien le nom romain donné à Canaan, Juda et Israël par Hadrien. « À l’est », « à l’orient », précise la Torah elle-même en Nb 34,15[16].  

 

Le syndrome jordanien

 

        « Transjordanie » pour « l’au-delà du Jourdain », pays des nations, serait à cet égard très biblique, au besoin très biblique recomposé, c’est-à-dire construit, une fois su et affirmé de quel côté (en l’occurrence de quel côté du Jourdain) on se trouve. Linguistiquement pourtant, il est peu probable que Josué ait jamais évoqué le concept de Transjordanie et, l’aurait-il voulu au moment où il s’apprêtait à franchir le Jourdain d’Est en Ouest, ce serait alors Canaan, future terre d’Israël, qu’il aurait appelée « Transjordanie ».

         Ainsi « Transjordanie » seul, trop proche du nom donné par Londres au royaume hachémite qu’elle confia à Abdallah au début du XXème siècle, est sans doute anachronique pour le temps de Moïse et Josué ; anachronique et politiquement volontariste, comme si l’on voulait inscrire la Transjordanie contemporaine dans l’histoire biblique.

         Le Dictionnaire de la Bible de la collection Bouquins Laffont convoquerait alors des sentiments étrangers à l’époque de Moïse et Josué lorsqu’il propose que les tribus de Ruben, de Gad et, pour moitié, de Manassé « s’installent en Transjordanie »[17]. Qu’elles s’installent au-delà du Jourdain est un fait du récit biblique, un fait écrit et connu, mais le nom est alors Moab : elles s’installent donc en terres de Moab, au sud-est de la mer Morte, nom sur lequel les cartes chrétiennes écriront plus tard Pérée, mot inconnu de la Bible, tant hébraïque que chrétienne, probable transcription du grec peran, utilisé pour « au-delà » dans le Nouveau Testament qui, lorsque Matthieu cite Isaïe, traduit encore littéralement les mots « au-delà du Jourdain » (’éver hayarden) par peran tou yordanou[18].

         La Bible de Jérusalem donne elle aussi une coloration jordanienne équivoque en présentant, dans son édition de 1998, la montée des Hébreux sur Moab comme une « étape vers la Transjordanie », puis l’installation des tribus de Ruben, Gad et Manassé - territoires occupés avant la lettre - comme « la conquête de la Transjordanie ».

        De fait, issue de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem, très engagée dans la cause palestinienne contemporaine, la Bible de Jérusalem est probablement la version qui investit le plus l’écriture militante de l’histoire. Outre ces improbables « Transjordanie », elle raconte en effet le retour de Juda de son exil à Babel sous le titre « Retour des Sionistes » (Esdras 1) et dresse la « Liste des Sionistes » en Esdras 2[19].

         En réalité, l’appropriation des lieux par la Jordanie de 1949 à 1967 sur le terrain, jusqu'en 1974, 1988 et 1993 sur le papier dès lors qu’Amman n’a renoncé vraiment à l’espoir d’habiter et d'être l’État arabe qui devait naître de la résolution 181 que dans la foulée des Accords d’Oslo, cette appropriation, renforcée par l’écriture chrétienne, rend le nom « Cisjordanie » beaucoup moins neutre qu’il n’y paraît. 

 

         L’écriture médiatique et militante ajoute à la confusion lorsqu’elle croit devoir préciser « Cisjordanie palestinienne », comme le fait Claude Angeli en évoquant dans Le Canard enchaîné ce qu’il appelle « le fameux mur qui permet d’annexer 18 % de la Cisjordanie palestinienne[20]».

        À la lettre, on peut au demeurant suivre l’idée et visualiser une Cisjordanie israélienne, voire une Cisjordanie judéenne et samaritaine, tant Cisjordanie ne dit que « de ce côté du Jourdain », d’où aussi la « Cisjordanie colonisée » qui tombe sous la plume de Jean-Marie Hosatte dans le supplément dominical du journal Le Monde[21].

        L'intérêt médiatique pour la Cisjordanie, dût-il être moins pro-palestinien qu'il n'y paraît à première vue militante, montre a contrario les lacunes de la couverture d'autres zones au nom encore indéfinis, comme par exemple le Sahara occidental.

        Dans le même numéro de l’hebdomadaire satirique cité, Frédéric Pagès ne précise rien, en effet, lorsqu’il évoque, au passif du roi du Maroc, « l’enlisement du conflit du Sahara »[22]. S’agit-il de l’ex-Sahara espagnol, du Sahara marocain, du Sahara sahraoui ? d’un Sahara palestinien au sens générique militant de l’adjectif palestinien ? Rien sur les murs de sable aménagés par le Maroc sur territoire sahraoui, aucune précision sur les implications juridiques de l'occupation marocaine de l'ancien Sahara espagnol, quand - au contraire - le mur israélien aurait pour effet, selon le directeur du Canard enchaîné, de « permettre l’annexion »[23].

 

Palestine, Texas

 

         L’usage intempestif de « Cisjordanie » dans l’écriture médiatique et militante de l’histoire n’a d’égal que l’usage académique du nom « Palestine » qui, pour sa part, échappe aux Palestiniens eux-mêmes, dépasse la seule écriture médiatique et militante pour couvrir les références classiques qui donnent le nom « Palestine » à la terre du récit biblique à compter du paléolithique, quand bien même le nom ne date, dans cette acception, que de l’empereur Hadrien. C'est le problème des noms donnés. Quand Juda est un nom propre que se donne un peuple, Palestine, Transjordanie, Cisjordanie sont des noms donnés à un territoire par un étranger, généralement maître de ce territoire, ne fût-ce que temporairement. Palestine est le nom latin donné à Juda par Rome, Transjordanie le nom anglais donné à Moab par Londres, Cisjordanie le nom hachémite donné à la Judée et à la Samarie par Amman.

        Plus concrètement, on doit poser que, à l’instar de l’occupant romain qui a changé le nom de Juda en Palestine, c’est l’occupant hachémite transjordanien qui, sans la moindre attention pour les territoires qui pouvaient alors devenir palestiniens, les a fait devenir jordaniens, et a changé en Cisjordanie les noms de Judée et de Samarie.

         D'ailleurs, pour couper court aux quiproquos, et agissant au détriment manifeste d’un éventuel État palestinien qui pourrait naître dans les frontières de l'État arabe prévu par la résolution 181, le royaume hachémite abandonna très vite les préfixes cis- et trans- et prit pour lui seul le nom du fleuve, East Bank et West Bank confondues, créant la perplexité des commentateurs sur la réalité de ce qui devient alors « la Jordanie » :

« La Jordanie, non lieu, expliquent en 2001 les historiens et antropologues Géraldine Chatelard et Riccardo Bocco dans le Jordanie des éditions Autrement. Ainsi se résume brutalement la vision qu'ont la plupart des observateurs occidentaux ou arabes d'un pays dont ils s'accordent à dire "qu'il n'est que parce qu'il n'est pas ce qui l'entoure, ou parce que ce qui l'entoure veut bien qu'il soit" »  [23bis]


         Quant à la dénomination anglaise, si est assurément moins aléatoire que cis- et trans-, elle reste ambiguë en raison des noms de lieux tirés du récit biblique dans la toponymie européenne et américaine.  

         Les États-Unis, en effet, dont Wim Wenders nous a rappelé qu’ils ont en tout cas un Paris au Texas, et qui connaissent aussi une Palestine au Texas, ont également, dans l’Utah, un fleuve appelé Jordan River qui se jette dans un Salt Lake City dont le nom rappelle la Mer de sel de la Bible hébraïque, devenue la Mer morte dans le récit populaire.

        Les Mormons de l’Utah ont ainsi donné en 1847 le nom de West Jordan à une ville située près de Jordan River. Malgré la proximité avec West Bank ou Westjordanland (nom allemand de la Cisjordanie), West Jordan City n’a bien sûr aucune relation avec les Palestiniens au sens contemporain, ce qui confirme au besoin le caractère factice du nom Cisjordanie. Sans doute peut-on également signaler comme un transfert intéressant le croisement phonétiquement ravageur entre Bank et Bande (West Bank et Bande de Gaza) dans un ouvrage publié en France par les éditions catholiques protestataires Golias qui mélangent les noms des territoires occupés par la Jordanie et l’Égypte jusqu’à 1967 en assurant qu’Israël occupe depuis 1967 « la bande ouest et Gaza »[24].

 

Le faux candide


         Dans une note sur la Palestine remise au gouvernement français le 15 janvier 2007, publiée par le Monde diplomatique quelques mois plus tard, Régis Debray évoque à son tour cette « Judée-Samarie » qui serait, selon lui, « le nom donné à la Cisjordanie par les cartes et les manuels scolaires israéliens », manuels dans lesquels « l’effacement de la ‘‘ligne verte’’ de 1967 est désormais un acquis légalisé, comme vient de le décider la Knesset en refusant la proposition d’une ministre de l’éducation travailliste »[25]. Laborieuse démonstration faite de négatifs positifs brouillons (l’effacement est un acquis, le refus d’une proposition une décision) qui voudrait poser du droit - « un acquis légalisé », dit-il - là où il n’y en a pas.

        Contrairement à ce qu’affirme en effet Debray dans cette note, qui sera encore développée dans un livre (Un candide en Terre sainte, sur lequel nous revenons notamment dans la page Qods Kadosh Caduc de ce site), la Knesset ne saurait effacer la ligne verte en refusant la proposition d’une ministre de l’éducation. On n’efface pas une frontière, fût-elle provisoire comme c’est le cas des frontières d’armistice, dans un manuel scolaire.

         De fait, comme Claude Angeli prétendait plus haut forger dans les colonnes du Canard enchaîné la jurisprudence de la Cour suprême israélienne sur les empiètements du mur de protection sur les terres palestiniennes, Régis Debray renverse l’ordre des choses et du droit.

        Il veut dénoncer ce qui est du fait et du provisoire en lui donnant - lui, Debray - la valeur d'« acquis légalisé », convoquant rien moins qu’une Knesset qui n’est pas la sienne et un ministre, certes travailliste souligne-t-il, pour faire passer son message à lui, Debray, agacé par Israël comme le support qui fait de son constat un exergue que le lecteur de sa note diplomatique sera sommé de prendre à son tour pour « un acquis légalisé »[26].

         Cette propension à ajouter ou retrancher au droit, ou à dire qu’est du droit ce qui n’en est pas, est une caractéristique du récit militant, qui ignore à quel point il prend ses racines dans la propension chrétienne à abolir la loi, qu’on assure en même temps n’être pas venu abolir[27]

         Dans les années 1920, quand de bons esprits français envisageaient encore deux peuples vivant en Palestine, quand l’association France-Palestine présidée par le sénateur Justin Godart, ancien ministre et sioniste convaincu, n’était pas encore palestinienne au sens de la cause devenue exclusivement telle ; quand Albert Londres, simple journaliste, pas encore la référence professionnelle qu’il est devenu, racontait son voyage en Palestine et publiait en 1929 sous forme de reportages ce que le Petit Parisien présentait comme « les tentatives faites pour restaurer le royaume d’Israël », les noms Judée et Samarie n’étaient ni honteux ni marqués du seul sceau biblique que, plus tard, le Collège de France, l’ambassade privée de la République française, Le Nouvel Observateur, Le Monde ou Libération dans nos exemples non exhaustifs devaient garder à l’esprit.

         Albert Londres – dont on se souvient qu’il écrivait dans ses carnets : « Eretz Israel = Palestine sur les cartes », à l’inverse exact de ce qu’Edgar Morin devait écrire en 2006 : « Eretz Israel, nom désormais donné à la Palestine[28] » – a parcouru le pays « de Judée en Samarie, de haute Galilée en basse Galilée », raconte son biographe[29].

 

Judaea capta

 

         De fait, malgré les efforts de l’historiographie palestinienne de combat (« Quand nous étions sous occupation romaine … », aimait à raconter Yasser Arafat à son public[30]), et ceux de l’écriture médiatique qui voudrait reléguer les noms historiques de Judée et de Samarie à la prétendue « ancienne alliance », les Romains ont bel et bien conquis un pays qui s’appelait Judée (Judaea) dont les habitants étaient des Judéens (Judaei) comme le rapporte le titre exact de ce que l’Occident chrétien appelle « La Guerre des juifs » : Istoria Ioudaikoï Polemoï Pros Romaious [31].

         Cela laisse des traces et, de Cicéron à Augustin, d'Augustin à Corneille, de Corneille à Lamartine, et jusqu'aux rédacteurs de la résolution 181 de l'ONU, la Judée et la Samarie n’ont jamais cessé d’être appelées de leurs noms.

        Cicéron n’utilisait pas un vocabulaire biblique lorsqu’il évoquait la Judée et les Judéens, avant même que Flavius Josèphe ne raconte la guerre qu’Hadrien ne mena pas contre des Cisjordaniens[32]. Plutarque n’était pas davantage conscient d’utiliser une toponymie biblique lorsqu’il évoquait les conquêtes de Pompée : « De la Syrie, il fit un gouvernement et une province acquise à l’Empire », il « conquit aussi la Judée », et « pénétra à travers l’Arabie jusqu’à la Mer Rouge » [33] ; ou les amours d’Antoine pour Cléopâtre à qui le jeune homme n’offrit pas la Cisjordanie, mais bien la Judée : « Son amour pour Cléopâtre » – ce « terrible mal » qui affectait Antoine, raconte Plutarque – s’était en effet « rallumé à l’approche de la Syrie » ; et une fois Cléopâtre « amenée (près de lui), il lui fit des présents qui n’avaient rien de petit ni de mesquin : la Phénicie, la Coélé-Syrie, Chypre et une grande partie de la Cilicie ; il y a ajouta la région de Judée qui produit le baume et la partie de l’Arabie Nabatéenne qui touche à la (Mer Rouge) »[34].

        Toujours sans référence biblique, Pline l’Ancien se servait du nom Judée de façon plus large encore que la portion de terre qui y correspondait : « La région de la Syrie qui a pour nom Phénicie et qui est voisine de la Judée comprend, au pied du Mont Carmel, un marais appelé Caudelia », écrit-il dans ses Histoires naturelles (36,190). Quant au lac d’asphaltite, qui allait devenir la Mer morte, il le situe en Judée : Lacu Iudaeae (2,226 ; 7,65 ; 35,178) ou Asphaltite Iudaeae lacu (II,226).

         Tacite poussait également la Judée jusqu’au Carmel : « Entre la Judée et la Syrie se trouve le Carmel : c’est le nom d’une montagne et d’un dieu »[35]. Sur un plan plus politique, Tacite savait que Rome n’était pas en guerre contre la Cisjordanie et ne frapperait pas de pièces Cisjordania capta : « Vespasien avait presque mis fin à la guerre de Judée (bellum Iudaicum) » ; « il ne lui restait plus qu’à prendre d’assaut Jérusalem, rude et pénible entreprise à cause surtout de son site montagneux (la capitale du royaume de Judée, précise la note, est bâtie sur plusieurs hauteurs) et du fanatisme opiniâtre des habitants (peruicaciam superstitionis) ».

        Ensuite, Tacite dit des généraux Vespasien (trois légions) et Mucien (quatre légions) qu’ils sont gouverneurs « l’un de la Syrie, l’autre de la Judée, provinces voisines » dont l’administration avait suscité des jalousies entre les deux hommes[36].

         Il souligne que les empereurs n’étaient alors eux-mêmes guère venus dans la région : « Quant aux Césars, en Syrie et en Judée, on avait entendu parler d’eux plus souvent qu’on ne les avaient vus » (II,6). Et lorsque les Césars vinrent en Judée, Dieu sait que ce n’est pas la Cisjordanie qu’ils ravageraient : « La Judée fut rayée de la carte, et prit par mon ordre le nom de Palestine », fait dire Marguerite Yourcenar à Hadrien dans ses Mémoires[37].

 

         Plus proches des journalistes parisiens soucieux de la « neutralité » du nom Cisjordanie, on observe encore la liberté que prend un Corneille ou un Racine pour décrire Bérénice indistinctement reine de Judée ou de Palestine ; celle d’un Lamartine qui peut, au soir du 20 octobre 1832, se dire « dans la région montagneuse de la Galilée et de la Judée » sans craindre la censure lui reprocher de parler comme le bon Dieu.

        Les nouveaux archéologues et nouveaux historiens israéliens dont l’écriture médiatique et militante européenne a transformé les travaux en autant de contestations de la réalité historique d’Israël ne vont eux-mêmes pas jusqu’à nier l’historicité des pays que le nom Cisjordanie voudrait en revanche, lui, avoir rayé de la carte : ainsi Finkelstein et Silberman racontent qu’« au VIIIe siècle av J.-C., la Samarie méridionale était un producteur important d’huile d’olive »[38].

 

L’écriture impériale

 

         L’inclination à désigner comme « neutre » le nom imposé par l’occupant hachémite peut être mise en parallèle avec l’insistance de l’écriture médiatique et militante à latiniser les noms de la région à partir de sa colonisation romaine, puis de sa christianisation, comme nous l’observons notamment des noms « Palestine »,

« Syrie », « Liban ».

        Nous nous souvenons que Peleshti, Tsour, Lebnon sont en effet la transcription de noms hébreux, eux-mêmes parfois antérieurs à l’hébreu, que l’hébreu a donc transcrit, que la Bible hébraïque a transmis, que l’écriture médiatique et militante s’efforce néanmoins de présenter comme romains ou gréco-romains, préférant la toponymie de l’occupant à la toponymie de l’occupé.

         Ironiquement, le nom « Cisjordanie » marque et date la perte véritable des terres de Judée et de Samarie par l’État arabe virtuel auquel ces terres avaient en majeure partie été attribuées.

        Nous avons noté que le texte de la résolution onusienne, d'abord rejetée par les pays arabes, contient encore les noms Judée et Samarie et dessine les frontières du territoire arabe du partage en se servant de ces noms comme de celui de Transjordanie. Le plan de partage de 1947 suit en effet dans son attribution au futur État arabe la toponymie Galilée, Samarie, Judée, le futur État juif s’y voyant, pour sa part, attribuer principalement la côte, le Neguev, la partie orientale de la Galilée[39].

        Dans sa description du projet de partage, le journaliste Dominique Vidal donne aussi acte à l’histoire que les textes onusiens utilisent les noms qui ne sont plus exclusivement bibliques[40]

        On a vu également que la toponymie biblique est, en l’occurrence, aussi une toponymie historique et que ces noms apparaissent chez Cicéron, Tacite, Flavius Josèphe notamment. Ils ne sont pas inventés par les sionistes, l’entourage de Balfour ou les Nations unies, et ce sont bien les grandes parties de la Galilée, de la Judée et de la Samarie que les Arabes de Palestine perdent entre 1947 et 1949, d’abord en n’acceptant pas les territoires qui leur étaient attribués et dont Glubb Pacha, qui devait initialement en assurer la défense à la tête de la Légion arabe, notait déjà qu’ils représentaient « la partie centrale - la plus vaste - de la Palestine »[41]  ; ensuite en combattant Israël sur ceux qu’il avait pour sa part acceptés.

        Ironiquement encore, le nom « Cisjordanie », qui dit la captation par Amman de la terre destinée à l’État arabe de la résolution 181, est aussi le nom qui occulte tout État palestinien autonome lorsqu’il est utilisé dans le cadre de l’éventuelle restitution de cette terre à la Jordanie actuelle, ex-Transjordanie, restitution envisagée dans ce qui était connu, avant Oslo, comme « l’option jordanienne ».

         Alternative à la création d’un État palestinien indépendant dont elle était par définition la négation, l’option jordanienne qui voudrait en effet « rendre la Cisjordanie à la Jordanie », pour l’écrire comme Uri Avnery, reviendrait à « occulter le peuple palestinien »[42].

        « Rendre la Cisjordanie à la Jordanie » dit toute la confusion de ce nom qui ne prend sens que dans celui d’un absurde retour, retour à l’annexant, retour que ni l’histoire ni la lettre ne permettraient, même sous la plume d’Avnery, d’écrire avec les noms antérieurs à l’annexion transjordanienne : « Rendre la Judée et la Samarie à la Jordanie » ne peut s’écrire, en effet. Ni se concevoir. Pas même en hommage à Yasser Arafat. Pas même en prétextant que Rabin et Pérès auraient été « désespérément accrochés » à pareil mot à mot.

 

         Le refus de 181 a une conséquence immédiate : la partie perdue de Galilée l’est au profit d’Israël, celles de Judée et de Samarie le sont au profit de la Transjordanie, État dont le nom même dit qu’il est tout neuf, et qui les nomme Cisjordanie, tant qu’à faire, pour mieux se les approprier, les annexer à ce qui devient alors « Jordanie ».

        Cisjordanie est donc bien le nom de l’annexion, un nom fictif par excellence, le nom qui a suscité l’assassinat du roi Abdallah, responsable, aux yeux des partisans du mufti al-Husseini, de ce qui était ressenti comme une captation et une trahison.

        Ainsi, lorsque le directeur de la revue Esprit suggère que « la Cisjordanie s’est métamorphosée en 1967 au point d’en perdre son nom » et de se voir appelée « fictivement » des noms qui étaient siens avant, il omet de considérer que la métamorphose est ailleurs, que le nom Cisjordanie pour le peuple arabe de Palestine est moins sien que les deux autres, et ne le serait en tous les cas que depuis dix-sept ans au moment où, par le fait de l’occupation israélienne, il le perdrait.

         On suit parfaitement l’évolution des espaces et des noms sur les cartes qui, dans la majorité des atlas et ouvrages de géopolitique, dessinent les différentes étapes du conflit : les deux premières sont généralement la carte bien connue du plan de partage, datée de 1947, et, immédiatement à côté, celle datée 1948-1967 sur laquelle émerge, hachurant les parties de Samarie et de Judée initialement destinées à l’État arabe, la Cisjordanie, absente de la première.

        La Cisjordanie apparaît sur ces cartes comme pièce rapportée. Qui plus est, le nom Cisjordanie à cet endroit, en lieu et place du nom que les Arabes de Palestine auraient pu donner à leur pays (Palestine peut-être[43]) rappelle que l’un des présumés alliés arabes des Arabes de Palestine en tout cas, la Transjordanie, acceptait dans les actes, en fait et en droit, le plan de partage, s’en faisait le bénéficiaire en écartant activement les autres intérêts nationalistes palestiniens[44]. Tout dans « Cisjordanie » dit l’ambiguïté des relations entre les partenaires arabes du processus de création d’un État arabe en Palestine. En bonne logique, ce nom ne saurait être favorable à la cause palestinienne, mais c’est lui que la cause préfère, à une très rare exception près[45]. Probablement parce qu’il est le seul à pouvoir être opposé à « Judée/Samarie ».

 

La Cisjordanie engloutit la Palestine

 

         La Cisjordanie est ainsi un point de départ et de retour, « exil de Cisjordanie et retour en Cisjordanie », explique Edward Saïd dans la préface de I saw Ramallah (J’ai vu Ramallah) de Mourid Barghouti, un récit « accueilli avec enthousiasme à travers tout le monde arabe », assure l'éditeur[46].

         Dans cette optique, le nom Cisjordanie devient la trace du nom Palestine dont, on l’a observé, l’écriture palestinienne et militante dit qu’il a disparu. Edward Saïd confirme en effet ici la thèse de l’engloutissement chère à Elias Sanbar : « Chaque Palestinien se trouve aujourd’hui dans la position peu commune de savoir que la Palestine a existé, et pourtant de voir cette terre porter un nouveau nom, un autre peuple, une nouvelle identité qui nient complètement la Palestine ».

         En saluant, à l’automne 2000 (Oslo + 7), le récit qu’un homme fait de son « exil de Cisjordanie » en 1967 et de son retour « en Cisjordanie » en 1996 (car pas plus qu’ils n’ont changé le treillis d’Arafat et les contours de son keffieh en forme de Palestine mandataire sur l'épaule, les Palestiniens n’ont changé - en 1994 - le nom du pays auquel renonçait enfin la Jordanie pour lui donner celui de leur choix) – retour « en Cisjordanie » donc d’un homme qu’il présente comme « de Cisjordanie » – c’est encore à la Palestine objet du plan de partage que pense « le Palestinien de Columbia », pour le dire comme Le Monde car, quand il regrette que la Palestine ait changé de nom, c’est au nom Israël qu’il pense, pas au nom Cisjordanie qui ne le trouble nullement.

        L’occupation de la Judée et de la Samarie sous le nom de « Cisjordanie » par Amman de 1949 à 1967 ne le trouble guère puisque, se référant aux « Palestiniens des territoires occupés en 1967 », il implique qu’avant 1967 ces territoires n’étaient pas occupés. Or, ils l’étaient ; ils l’étaient par le régime du roi Hussein. Une coquille de l’éditeur français, présumons-nous, fait même évoquer à Edward Saïd un « royaume hachémite de Palestine » lorsqu’il mentionne le « pont du Jourdain séparant le royaume hachémite de Palestine »[47]

         En 1964, le Royaume hachémite qui reçoit le pape Paul VI en route pour Jérusalem émet un timbre en l’honneur de la visite papale, « en terre sainte » dit le libellé du timbre, au Royaume hachémite de Jordanie dit l’État émetteur. Peu respectueux de l’espace annexé en 1950, la Jordanie ne renonçant à ses prétentions sur

« la Cisjordanie » qu’entre 1988 et 1993, le timbre ne porte aucune mention ni de la Palestine ni de Jérusalem. Il est orné des deux portraits, celui de Paul VI à gauche, celui du jeune roi Hussein à droite, encadrant le seul Dôme du rocher (aucun édifice chrétien n’illustre le timbre) et porte, en arabe et en latino anglais, les mentions « The Hashemite kingdom of Jordan » et « Papa Paulus VI visit to the Holy Land 4/1/1964 »[48].

         À  la même époque, le Guide bleu du Moyen Orient traite de Jérusalem dans les pages « Jordanie », ce qui casse doublement la thèse chère à Elias Sanbar d’un Occident qui aurait volé son identité à la Palestine en lui imposant les images de la Bible.

         Sans qu'il soit nécessaire de se référer aux thèses de certains Israéliens qui voudraient que la Palestine soit en Jordanie, et donc sans qu'il soit nécessaire de réfuter ces thèses, il est de fait qu'un ouvrage grand public comme le Guide Bleu de 1965 confond l’identité de la Palestine biblique avec celle de la Jordanie et désigne Jérusalem comme une ville touristique phare de la Jordanie. Quand bien même Israël est alors un État indépendant depuis dix-sept ans, le guide l’ignore, qui ne couvre que les pays suivants : Liban, Syrie, Jordanie, Iraq, Iran[49].

         Israël est en revanche dessiné dans les contours des armistices de 1949 dans un Atlas Hachette de 1955 qui incorpore Gaza à l’Égypte, la Judée et la Samarie à la Jordanie. Le nom Palestine barre l’ensemble comme un nom de région transfrontalière (le titre de la carte est au demeurant : Syrie et Palestine), l’index porte les précisions : Israël (État), Jordanie (Royaume), Palestine (Région).

        Si les guides peuvent être légers, on observe qu’à l’instar du pape Paul VI, Si Hamza Boubakeur et Glubb Pacha sont, chacun dans son registre propre, très conciliants avec l’annexion transjordanienne de la terre prétendument engloutie par Israël.

        Le premier désigne Hébron comme « une bourgade de l’actuelle Jordanie » dans un écrit savant de 1984, réédité sans correction en 1993[50], et le second baptise littéralement l’ensemble du pays biblique du nom du royaume hachémite dans ses mémoires de 1956-1957 : « Souvenons-nous que c’est de ce sol, de ce qui est maintenant la Jordanie (...), que sont issues les trois plus grandes religions de l’humanité : le judaïsme, l’islam et la chrétienté. Ce petit pays a plus contribué à mener le genre humain vers Dieu que ne l’on fait tous les immenses continents qui l’entourent », assure Glubb Pacha en conclusion de son histoire[51].

        Une position aussi absorbante de la terre du récit biblique, mais ne mentionnant que les deux derniers monothéismes, est développée pour la Syrie dans un discours d’Hafez el-Asad à l’occasion du huitième anniversaire du parti Baath, le 8 mars 1980 à l’Université de Damas. Une fois posé que « personne ne peut revendiquer avec fierté son arabité sans tirer gloire de l’islam car l’islam est le message de Dieu, à nous d’abord destiné », Hafez el-Asad professe : « En tant que citoyen syrien, je crois en l’islam et à son dogme. En tant que chef de l’État, je trouve dans le christianisme de même que dans l’islam sujet d’être fier, d’autant plus que, de cette bonne terre, notre terre arabe, sont issus Mohammed, fils d’Abdallah – Dieu lui accorde salut et bénédiction – et Jésus, fils de Marie – sur lui le salut[52] ». (Jacob sera donc de Rome ou de La Mecque).

 

         Les guides historiques Michel Mourre donnent de la Cisjordanie et de la Samarie la même vision militante palestinienne. A l’entrée « Cisjordanie » de leur édition 1996, ils indiquent qu’elle est « occupée et administrée à partir de 1967 par Israël sous le nom de “Judée-Samarie” » sans préciser que le nom Cisjordanie est lui-même la manifestation de l’occupation et administration de ce territoire par Amman de 1948 à 1967, donc sans donner toute sa dimension à l’histoire du territoire présenté.

        À l’entrée « Samarie », ils indiquent qu’elle fut « attribuée à l’État palestinien prévu par le partage

onusien », ce que nous savons désormais identifier comme un élément de l’écriture engagée dès lors que le partage de l’ONU ne désigne pas un État palestinien et un État israélien mais un État arabe et un État juif, à charge des attributaires des espaces concernés de choisir le nom sous lequel ils existeront en tant qu’États[53]; puis « conquise par la Transjordanie en 1948 et annexée par Israël en 1967 » [54], ce qui constitue un deuxième engagement d’envergure puisque c’est l’inverse qui est vrai : la Transjordanie n’a pas conquis mais bien annexé officiellement en 1950 la terre qu’elle nomma Cisjordanie, Israël l’a conquise en 1967 mais s’est précisément gardé, quant à lui, de l’annexer, du moins juridiquement.

 

Un pays bankable

 

         Le trouble est tel qu’on a pu, dit-on, inventer l’expression « North Bank », à l’image du nom de la Cisjordanie en anglais (West Bank), pour le Sud Liban à l’époque où les services secrets israéliens rivalisaient entre eux pour le contrôle des poches chrétiennes du Liban sud.

        Si l’on en croit en effet le journaliste américain Jonathan Randal - dont La guerre de mille ans est truffée d’erreurs historiques et de partis pris (voir le double jeu de fausses citations de Golda Meir par Randal, et de Randal par sa traductrice française[55]) -, le Shin Beth (services secrets “intérieurs”) avait succédé dans les années 1976-78 au Mossad (services secrets “extérieurs”) dans la zone alors dirigée par le Commandant Haddad. Dès lors que le même mécanisme avait eu lieu en Cisjordanie et à Gaza, cela « justifiait le sobriquet de North Bank aussitôt donné au Liban occupé », assure Randal[56].

        La traduction française doit expliciter le « nickname North Bank » de Randal, car West Bank ou « Rive occidentale » (du Jourdain) est un nom peu connu en français pour Cisjordanie.

        Indiquant en note à ses lecteurs français que « en anglais, la Cisjordanie s’appelle “West Bank” », la traduction propose donc de traduire North Bank par « Cisjordanie du Nord ». C’est dire une nouvelle fois combien le nom « Cisjordanie » est artificiel.

        « Cisjordanie » en est venu à signifier « territoire occupé par Israël », qu’il soit à l’Est du Joudain comme l’est la Cisjordanie ou au Sud du Liban, comme le serait dans notre exemple la « Cisjordanie du Nord ». Le journaliste libanais Ghassan Tuéni donne la même information concernant ce North Bank de salle de garde, mettant le nickname non plus au crédit du Shin Beth mais à celui de « certains observateurs libanais ». Sans rien traduire, il arrive à une situation qui souligne encore le vide linguistique, sinon sémantique, du mot « Cisjordanie » : on en était arrivé, dit-il, à « appeler le Liban Sud “la rive nord”, par analogie avec “la rive ouest” (la Cisjordanie) »[57].

        Pourquoi pas, dans les pas de Golias, « la bande du Nord » ?

 

        Le paradoxe est qu’à travers l’expression « North Bank », aussi laborieuse à expliquer que le Simon de Jésus qui devient Pierre par le biais de Képhas[58], le nom « Cisjordanie » devient bel et bien un nom d’occupation israélienne : Israël voudrait cisjordaniser le Liban Sud, explique-t-on à travers cette succession de sobriquets.

        C’est oublier que Cisjordanie est une construction linguistique qui contient l’occupation jordanienne (et non israélienne) de la Judée et de la Samarie. C’est la Transjordanie qui façonne ce nom, en effet, pour prendre, non pour conserver et rendre à terme, cette partie de la Palestine romaine et ottomane destinée par le plan de partage de l’ONU à devenir un État arabe.

        Le nom Cisjordanie n’est pas un nom d’occupation israélienne – d’autant qu’Israël, faut-il le rappeler ?, se sert des noms Judée et Samarie – et il est ainsi révélateur en même temps que foncièrement injuste – foncièrement au sens notarial dérivé de foncier – de renvoyer à Israël, pour désigner des actes qui sont bien d’Israël (l’occupation du Sud Liban), le nom qui désigne des actes qui ne sont en revanche pas de son fait (l’occupation jordanienne de la Judée et de la Samarie).

        Le Litani, fleuve du nord, fleuve libanais, est étrangement absent de ces nicknames. Sinon l’envahissante Cisjordanie, rien qui n’évoque une translitanie…

       L’absence de vision historique et géographique installe dans le verbe médiatique et militant des formules incohérentes comme celle qui consiste à localiser, sur Arte, la « ville juive de Maale Adoumim » (ou « colonie de Maale Adoumim sur les terres d’al-Quds » selon les sources) « dans le désert de Judée, en plein territoire occupé de Cisjordanie »[59].      

      Si la formule rappelle en effet que « le désert de Judée » (littéralement le désert juif, dont les nouveaux historiens et nouveaux archéologues d’Israël n’ont pas encore contesté le nom) fait partie de la Cisjordanie et, indirectement, de l’État arabe qui devait voir le jour sur les contours dessinés pour lui par la résolution 181 de l’ONU, elle ignore que ce désert fut longtemps situé « en plein territoire occupé par la Jordanie » et que l’expression « territoire occupé de Cisjordanie » est un raccourci historique qui illustre la fiction du nom, sa fiction et sa fonction.

      On comprend que, de ce capharnaüm toponymique, de méchants esprits arrivent à construire l’idée anachronique que « l’existence d’Israël a entraîné la déstabilisation de la Jordanie ». Emmanuel Ratier, l’une des voix les plus violentes de l’extrême Radio Courtoisie, salue en ces termes le soixantième anniversaire d’Israël, qu’il hait abondamment et dénigre tout autant : « Dernier État colonial du monde, soutenu par la diaspora internationale et les États-Unis, l’État artificiel d’Israël focalise la politique mondiale dans une zone longtemps paisible, voire oubliée du monde », raconte ce militant qui voit la lente chute de l’Empire ottoman, de 1890 à 1950, comme une paisible période de l’histoire[60]


Le galil des goyim


         Des trois régions bibliques – Galilée, Judée, Samarie – qui forment grossièrement « la Palestine  de Jésus » dans la conscience occidentale chrétienne (Idumée, Philistie, Phénicie, Pétrée apparaissent parfois aussi en marge des cartes chrétiennes), seule la Galilée est encore aujourd’hui appelée par son nom dans le récit militant, sans guillemets de distance ou d’agacement, quand elle n’est revendiquée comme palestinienne et, via sa dimension palestinienne, universelle[61].

         Une fois posé que « Galilée » est d’abord un nom commun qui dit « le district » (« L’au-delà du Jourdain est le district des nations », lit-on en Is 8,23, le galil des goyim), c’est la deuxième étrangeté que nous croyons pouvoir déceler dans ce jeu d’écritures car la Galilée, assurément, est aujourd’hui dans le territoire d’Israël.

        Ce qui est devenu Israël pourrait garder son nom historique et biblique, ce qui ne l’est pas et ne doit pas l’être dans la perspective palestinienne doit avoir un nom autre. Cisjordanie est alors un nom de guerre. Il faut bien appeler d’un nom le territoire situé à l'ouest du Jourdain qu’Israël va devoir « rendre ». Après avoir « rendu aux Palestiniens » la bande de Gaza – l’expression « rendre aux Palestiniens » est inappropriée, on l’a noté, pour un territoire « pris à l’Égypte » –, le territoire qu’il reste à Israël à « rendre » ne peut sérieusement s’appeler Samarie et encore moins Judée, du nom de Juda écarté par Hadrien, même si le nom tombe sous la plume des rédacteurs du Guide bleu évoquant en 2000 Hébron comme « le principal centre urbain de la Judée palestinienne »[62].

        Pour la Galilée, c’est différent puisque le territoire conquis pendant la guerre de 1948-49 n’a plus à être rendu, du moins en termes d’Oslo, le Hamas et le Hezbollah estimant qu’il convient toujours de libérer « toute la Palestine ».

        Une autre dimension, plus biblique, plus chrétienne : la Galilée est le pays de Jésus alors que la Judée est celui de David. « Le Galiléen s'est rendu, sans visa, ni carte d'identité, en Israël, en Palestine, en Jordanie, à Gaza, au Liban, en Égypte et en Syrie », retient Régis Debray de son pèlerinage sur les pas dudit Galiléen[63], même si Jésus ne s'est rendu ni en Palestine (nom et concept inexistants à son époque), ni en Jordanie (alors Moab et Edom, tout au plus, « Arabie Pétrée sur les anciennes cartes romaines », avons-nous noté plus haut et aurait pu lui rappeler Gabriel Matzneff, son prédécesseur sur les pas de Jésus, lui aussi en mission diplomatique pour son également très galiléen Carnet arabe[64]).

 

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       Certes, dans le processus d’appropriation chrétienne puis palestinienne de la terre et de l’histoire du récit biblique, on a peu à peu fait de Bethléem la ville de Jésus (au demeurant parce qu’elle était celle de David, souvenons-nous du voyage des parents), puis de la ville de Jésus une ville palestinienne (souvenons-nous d'Arafat privé de Noël dans la Basilique de la Nativité) ; certes aussi, après l’anéantissement du Temple et de Jérusalem, les écoles juives se sont réfugiées en Galilée, mais fondamentalement, le Nazaréen, comme plusieurs langues en portent encore la trace, c’est Jésus, et les Nazaréens, comme le dit encore l’hébreu moderne, sont les chrétiens. Alors, la Galilée peut conserver son nom.

 

 

 

 


[1] Esprit, mai-juin 1983.

[2] A.W. Kayyâli, Histoire de la Palestine : 1896-1940, L’Harmattan, 1985, p. 219.

[3] Elias Sanbar, Palestine 1948. L’expulsion, Les livres de la Revue d’études palestiniennes, Institut d’études palestiniennes, Washington, 1984, p. 62.

[4] Glubb Pacha (Sir John Bagot Glubb, dit –), Soldat avec les Arabes, Plon, 1958, respectivement : p. 89 et p. 226.

[5] Marc Lavergne, La Jordanie, Karthala, 1994, p. 99, n. 2. Chez cet auteur, Judée et Samarie ne prennent des guillemets de distanciation ou d’offuscation qu’après la Guerre des six jours. Alors, en effet, « l’occupation de la Cisjordanie ne semble devoir être que provisoire (mais) l’annexion rampante de la “Judée” et de la “Samarie” est en marche » (ibid., p. 123).

[6] Henry Laurens, Le grand jeu. Orient arabe et rivalités internationales, Armand Colin, 1991, p. 222.

[7] Henry Laurens, « Erreurs tactiques, choc de stratégies », Le Monde diplomatique, juin 2007, p. 12-13 (13). Le mensuel ne voit pas l’anachronisme et reprend la phrase en exergue (p. 12). Alain Gresh et Dominique Vidal, Les 100 clés du Proche-Orient, Hachette Littératures, 2003, p. 127. Dans leur présentation partisane de la situation, les journalistes du Monde diplomatique ajoutent que la Cisjordanie « comprend la partie orientale de Jérusalem ». Or, « la partie orientale de Jérusalem » est elle-même (autant d’ailleurs que « Jérusalem-Ouest ») une fiction due à l’occupation jordanienne de ce que l’ONU ne connaissait alors que comme Judée, Samarie et corpus separatum (voir : « Jérusalem, corps séparé »).

[8] Le Monde, 9 décembre 2006, p. 5. La citation de Gilles Paris est issue d'un article paru en août 2005 (cf. « Israël achève l'évacuation de la bande de Gaza en entame le retrait de quatre colonies de Cisjordanie »).

[9] Voir notre étude « La Palestine palestinienne ».

[10] Tibor Mende, « Le problème des réfugiés de Palestine », Le Monde, 21 avril 1951, reproduction in Kountras, novembre 2002, p. 16.

[11] Cf. « Le geste historique de Sadate », Bulletin de l’étranger, Le Monde, 22 novembre 1977, p. 1.

[12] Cette étude n’ignore pas l’existence d’historiens, y compris israéliens, qui cherchent à présenter très différemment ces événements et remontent toujours plus haut dans la contestation de l’histoire d’Israël. Le dernier point d’ancrage en date contesté par eux serait l’expulsion des juifs de la terre de Juda par Rome après la guerre dite des Juifs contre les Romains. Les derniers nouveaux historiens en date contestent en effet qu’Israël ait alors été expulsé ; ce qui, se réjouissent les médias européens, met en cause la légitimité du retour. Sur la question, on lit avec intérêt l'étude de Claude Klein, « L'invention de Shlomo Sand », Les Temps Modernes, n° 655, septembre-octobre 2009, p. 71-89, étude saluée par Denis Ollivennes, directeur du Nouvel Observateur, qui la mit publiquement en parallèle avec les articles militants parus dans son journal en faveur des écrits de Shlomo Sand (L'esprit public, France Culture, précision à venir).

[13] « Hébron est aussi fondamental que Jérusalem », Libération, 22 septembre 2009

[14] René Backman, Un mur en Palestine, Fayard, 2006, p. 8 et 9.

[15] Cf. Natalia Soujaeff, « A propos de la confixation en russe moderne », Études lexicales et morphologiques, Centre de Linguistique Théorique et Appliquée (CELTA), Université Paris IV, http://celta.paris-sorbonne.fr/jeunes-chercheurs/dialogues1/Soujaeff.pdf., p. 11.

[16] On trouve étrangement quelques références chrétiennes qui traduisent « au-delà du Jourdain » par « à l’Ouest du Jourdain », mais Edouard Dhorme encore souligne le caractère pléonastique de Nb 34,15 qui évoque tout à la fois « au-delà du Jourdain, à l’est, à l’orient ».

[17] André-Marie Gérard, Dictionnaire de la Bible (catholique, imprimatur 1989), Robert Laffont, Bouquins, 1989, « Jourdain », p. 706-710(707).

[18] Cf. Mt 4,15 et Is 8,23.

[19] Titres et intertitres de l’édition revue et corrigée, Le Cerf, Paris, 1998.

[20] Le Canard enchaîné, 3 janvier 2007, p. 3. Dans le même numéro, l’hebdomadaire satirique ne précise rien lorsqu’il évoque, au passif du roi du Maroc, « l’enlisement du conflit du Sahara » (Frédéric Pagès, ibid., p. 6). S’agit-il de l’ex-Sahara espagnol, du Sahara marocain, du Sahara sahraoui ? d’un Sahara palestinien au sens générique militant de l’adjectif palestinien ? Sur la couverture médiatique pro-marocaine du conflit sahraoui et pro-palestinienne du conflit israélo-palestinien, voir : « OLP/Polisario : analyse comparative du récit médiatique ». Pour ce qui est du mur qui, selon le directeur du Canard enchaîné, « permet l’annexion », et considérant que l’hebdomadaire satirique offre régulièrement des analyses très fines sur les questions de droit français, on doit regretter que ses lecteurs ne soient pas informés avec la même acuité des procédures judiciaires menées devant la Cour suprême israélienne qui rappellent régulièrement que la construction du mur ne « permet » précisément pas d’annexer des territoires (sur cette question : voir ci-dessous un autre abus de langage juridique sous la plume de Régis Debray en Terre sainte et notre étude « La lettre et la loi »).

[21] Jean-Marie Hosatte, « Au cœur de la Cisjordanie colonisée », Le Monde 2, 5 septembre 2009, p. 32-41 (34). Le reportage fait l’objet de la couverture sous le titre : « Cisjordanie. Ces colons qui défient la paix », un titre repris quelques semaines plus tard par Le Monde des religions, un autre organe du groupe Le Monde.

[22] Le Canard enchaîné, 3 janvier 2007, p. 6. 

[23] Considérant que l’hebdomadaire satirique offre régulièrement des analyses très fines sur les questions de droit français, on doit regretter que ses lecteurs ne soient pas informés avec la même acuité des procédures judiciaires menées devant la Cour suprême israélienne qui rappellent régulièrement que la construction du mur ne « permet » précisément pas d’annexer des territoires.

[23bis] Riccardo Bocco et Géraldine Chatelard (dir.), Jordanie, Autrement, 2001, p. 11.

[24] Cf. Pérètz Kidron, Refuznik ! Les soldats de la conscience en Israël, Golias, Villeubanne, 2003, quatrième de couverture.

[25] Régis Debray, « Pour une cure de vérité au Proche-Orient », Le Monde diplomatique, août 2007, p. 12.

[26] De la phrase de Régis Debray, erronée en fait et en droit, le Monde diplomatique qui héberge sa note à peine remise au président de la République qui l’avait demandée retient en intertitre : « L’effacement de la ‘‘ligne verte’’ est désormais légalisé » (art. cit.). 

[27] Voir « Et moi je vous dis ». Dans le Sermon sur la montagne, présenté par Benoît XVI comme « la Torah de Jésus », le christianisme installe une rhétorique ravageuse qui prêche le faux pour déstabiliser la loi. L’exemple le plus significatif est le fameux passage où Matthieu met dans la bouche de Jésus : « On vous a dit: “Tu aimeras ton proche et tu haïras ton ennemi”, et moi je vous dis : “Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent” » (Mt 5,43-44). Or, « tu haïras ton ennemi » n’est pas dans le texte hébreu censé inspirer le premier corps de la phrase qui commande d’aimer son prochain comme soi-même (Lv 19,18). Cette façon de contourner un texte de droit en lui faisant dire plus ou moins qu’il ne dit est aussi une caractéristique du serpent dans son dialogue avec Ève. Dans une tromperie diabolique avant la lettre, le serpent aggrave l’interdiction formulée par Dieu pour mettre sa victime en condition de s’insurger (cf. Gn 3,1).

[28] Edgar Morin, Le monde moderne et la question juive, Le Seuil, 2006, p. 147. Dans cet ouvrage de la collection « Non conforme », Edgar Morin poursuit le combat contre Israël qui l’avait conduit notamment à publier pour le Monde le brûlot que cosignaient avec lui Danièle Sallenave et Sami Naïr (cf. « Israël-Palestine : le cancer », Le Monde, 4 juin 2002, p. 18). L’ouvrage du Seuil de 2006 est donc aussi engagé que l’article de combat de 2002, il contient les mêmes erreurs parfois fondamentales. Morin, qui semble ignorer que Eretz Israel et Palestine ont rang de synonymes sous l’administration mandataire britannique, date notamment de 1948 la décision de l’ONU de séparer la Palestine, confondant la décision de partage de l’ONU (1947) et celle de la proclamation d’Israël en application de la première (1948), ce qui revient à confondre (à dessein ?) l’ONU et Israël dans le mouvement militant qui voudrait qu’Israël soit une émanation, sinon une création de l’ONU, - une sorte de Kosovo avant la lettre, ne se rendent pas compte les analystes à courte vue (voir : « L’État créé par l’ONU »).    

[29] Pierre Assouline, Albert Londres. Vie et mort d’un grand reporter (1884-1932), Balland, 1989, p. 408. On sait que les reportages d’Albert Londres ont été ensuite publiés sous forme de livre (Le juif errant est arrivé), mais on observe que, dans l’hommage qui lui fut rendu en 2001, les reportages « palestiniens » d’Albert Londres ne furent pas mentionnés dans la présentation qui devait être faite « d'une carrière exemplaire qui lui fit parcourir le monde en long, en large et surtout en travers. La Grande Guerre sur tous ses fronts stratégiques et la conquête de Fiume par d'Annunzio, la Révolution russe et le Tour de France cycliste, la République chinoise en folie et le scandale du bagne de Cayenne, les bataillons disciplinaires d'Afrique du Nord et la condition des aliénés dans les asiles de France, Marseille la nouvelle Babel et l'évasion du forçat Dieudonné, la traite des noirs en Afrique et la traite des blanches en Argentine, les pêcheurs de perles de Djibouti et les terroristes dans les Balkans... Pendant dix-huit ans, Albert Londres n'a pas soufflé » (présentation sans coupes du livre Grand reportage. Les héritiers d’Albert Londres, fiche livre de bibliomonde.com).  

[30] « Quand nous étions sous occupation romaine, que s’est-il passé ? Un pêcheur palestinien, saint Pierre, est allé à Rome. Il n’a pas seulement occupé Rome, mais le cœur des Romains, voilà le sens de cette terre sainte. Voilà pourquoi nous nous battons » (Yasser Arafat in Nadia Benjelloun-Ollivier, Yasser Arafat. La question palestinienne, Fayard, 1991, p. 155-156).

[31] Le titre grec de l’ouvrage que Josèphe écrivit en araméen et traduisit lui-même en grec est en effet : Istoria Ioudaikoï Polemoï Pros Romaious. La traduction littérale serait : « Guerre des Judéens (ou des habitants du pays de Juda) contre les Romains ». Le terme juif n’a été forgé en français que plus tard sur la base d’un glissement de l’hébreu yehudi, au grec ioudaios, au latin judæum. Les traductions françaises titrent l’ouvrage « Guerre des Juifs » mais plusieurs auteurs s’y réfèrent en l’appelant « Guerre de Judée », parfois via sa traduction latine : De bello judaïco.

[32] Cicéron, Discours, t. XV De provinciis consularibus V,10, trad° Jean Cousin, Les Belles Lettres, Paris, 1962, p. 185

[33] Pompée, 39,3 ; et Raymond Bloch et Jean Cousin dans Rome et son destin, Armand Colin, 1960, p. 226 : « Pompée détruit les pirates, chasse Mithirdate de son royaume, soumet l’Arménie, poursuit sa route vers le Caucase et la Caspienne. En 64, il conquiert la Syrie, envahit la Judée, prend Jérusalem et termine sa glorieuse équipée sous les murs de Jéricho. Il est le maître des armées ».

[34] Plutarque, Vies (Antoine), Les Belles Lettres, Paris, 1977, § 36, p.133-134, traduction de Robert Flacelière et Émile Chambry.

[35] Tacite, Histoires, II, 78, traduction d’Henri Le Bonniec, notes de Joseph Hellegouarc’h, Belles Lettres, 1989. Une note indique que le Carmel, aujourd’hui bien connu sur les cartes, se situe « à la limite, non de la Syrie et de la Judée, mais, plus précisément, de la Phénicie et de la Galilée » (ibid. p. 223).

[36] Ibid., II, 3, 5).

[37] Marguerite Yourcenar, Mémoires d’Hadrien, suivi de Carnets de notes de Mémoires d’Hadrien, Gallimard, 1974.

[38] La Bible dévoilée, Bayard, 2002, p. 132-133.

[39]  Xavier Baron, Proche-Orient, du refus à la paix. Les documents de référence, Hachette, 1994, p. 94-95. Les cartes jointes au plan de partage de l’ONU portent quatre noms du nord au sud sur le territoire de la Palestine mandataire : Galilée, Samarie, Judée, Negev.

[40] Dominique Vidal, Le péché originel, op. cit., p. 51.

[41] Glubb Pacha, op. cit., p. 38-44 ; Vergne, op. cit., p. 100-101.

[42] Dans l’hommage précipité qu’il rendait à Yasser Arafat dès le 6 novembre 2004 (Arafat est mort le 11), Uri Avnery évoquait « “l’option jordanienne”, selon laquelle on pouvait occulter le peuple palestinien et rendre la Cisjordanie à la Jordanie », une option à laquelle, disait-il, Rabin et Pérès étaient encore « désespérément accrochés » avant les accords d’Oslo (cf. Uri Avnery, « A man and his people », article publié en hébreu et en anglais sur le site de Gush Shalom le 6 novembre 2004, version française sur le site de l’association France-Palestine).

[43] D’autres noms étaient possibles. En 1933, dans le cadre de réflexions sur un projet de partition en cantons alors envisagé tant par les juifs que par les Arabes, il était proposé au sein des meilleures familles arabes de Palestine que « le canton arabe prendrait le nom de Syrie du Sud et serait destiné à s’unir avec la Transjordanie d’Abdallah » (cf. Henry Laurens, La Question de Palestine, op. cit., t. 2, p. 266-267, proposition attribuée à Ahmad al-Khalidi, « de la grande famille al-Khalidi », précise Henry Laurens).

[44] On se souvient qu’en 1936 déjà, l’émir Abdallah se disait favorable au partage de la Palestine entre juifs et Arabes, la partie arabe lui revenant à lui (Marc Lavergne, La Jordanie, op. cit., p. 94). En 1946, il craignait la création d’un État arabe indépendant sur une partie de la Palestine car il serait alors aux mains d’Amin Husseini (ibid., p. 96).

[45] On trouve une mention isolée « Palestine » où on lit habituellement « Cisjordanie » sur une carte publiée par la revue Les Dossiers d’archéologie, n° 240, jan.-fév. 1999, p. 13.

[46] Cf. Mourid Barghouti, J’ai vu Ramallah, traduit de l’arabe (Palestine) par Maha Billacois et Zeinab Zaza, Aube, Paris, 2004, préface d’Edward Said. Une mention  indique : « First published in arabic in 1997 ». Edward Said écrivit une préface à une édition américaine ultérieure, préface qu’il date de l’automne 2000 et qui figure dans la version française sous le titre « Avant-propos à l’édition américaine », p. 5. Sur la mention très volontariste « traduit de l’arabe (Palestine) », qu’on voit très isolée dès lors que « first published in arabic » se veut moins revendicateur d’une langue spécialement palestinienne, voir : « Le verbe palestinien ».

[47] Le pont du Jourdain ne sépare pas (en deux provinces par exemple) « le royaume hachémite de Palestine » mais il sépare, dans l’esprit d’Edward Said, le royaume hachémite (d’une part) de la Palestine (d’autre part), l’absence de l’article venant sans doute de la traduction de l’anglais, Said ayant probablement écrit : « (...) separating the hachemite kingdom from Palestine » (et non of Palestine). Il reste que – coquille, faute de traduction, ou lapsus – le « royaume hachémite de Palestine » auquel pensait assurément le roi Abdallah (assassiné pour cela par un Palestinien en 1951) et son fils Hussein jusqu’en 1988-94 se profile encore dans les consciences. 

[48] Le philatéliste attentif de cette période peut observer que les cartes postales, si elles représentent souvent des thèmes néotestamentaires (p. ex. « le bon Berger à côté de l’eau courante ») sont imprimées à « Jérusalem, Jordanie » (carte postale envoyée d’Aqaba, janvier 1965, collection privée).

[49] Cf. Les Guides Bleu, « Moyen-Orient », Hachette, Paris, 1965.

[50] Cheikh Si Hamza Boubakeur, Traité moderne de théologie islamique, Maisonneuve et Larose, 1984, 1993, p. 136. Pour être peu diplomatique (la diplomatie post-1950 voulant qu’on appelle tout au plus « Cisjordanie » la terre où se trouve Hébron), cette « actuelle Jordanie » en 1984 est conforme à la position jordanienne qui n’a renoncé à la Judée et à la Samarie qu’entre 1988 et 1994. Dans le vocabulaire de cheikh Boubakeur, elle fait aussi le pendant de « la Palestine actuelle », dans laquelle il plaçait déjà Beer-Sheva. Notons enfin que, dans la même phrase, l’auteur peu scrupuleux de la toponymie ironise sur l’âge d’Abraham à sa mort, « 175 ans selon les chiffres toujours exagérés de la Bible ».

[51] Glubb Pacha, op. cit., p. 464.

[52] Hafez el Asad, discours reproduit dans le quotidien syrien Tishrîn le 9 mars 1980, passage cité et traduit dans l’étude d’Olivier Carré et Gérard Michaud, Les Frères musulmans (1928-1982), op. cit., p. 143-145 (144). Le propos est grandement dirigé vers l’opposition intérieure syrienne qui reprochait au régime baathiste d’être inspiré davantage par Staline que par Mohammed. Assad fait donc acte de soumission et ironise dans la suite du discours sur la visite de Sadat à Jérusalem (faut-il « aller à Jérusalem », « prier au milieu des baïonnettes israéliennes » pour être « reconnu comme un vrai musulman ? »).   

[53] Israël a hésité entre Ever (une forme du verbe qui dit « passer » en hébreu), Juda et Israël jusque tard dans la nuit du 14 au 15 mai 1948, comme l’attestent les notes du discours de Ben Gourion où le nom du pays est encore en blanc. L’OLP, pour sa part, s’est fondue dans le nom imposé par Rome pour marquer sa victoire contre Juda, sans en avoir encore trouvé un propre.

[54] Cf. Michel Mourre, Dictionnaire encyclopédique d’Histoire, Bordas, 1996, respectivement :  « Cisjordanie », p. 1168 et « Samarie », p. 4979.

[55] Voir : « Le mot de Golda Meir » dans « La Palestine palestinienne ».

[56] Cf. Jonathan Randal, Going All the Way : Christian Warlords, Israeli Adventurers and the War in Lebanon, The Viking Press, New York, 1983 (La guerre de mille ans : jusqu’au dernier chrétien, jusqu’au dernier marchand, la tragédie du Liban, traduction de l’américain par Béatrice Vierne, Grasset, Paris, 1984), p. 318 de la version française.  

[57] Ghassan Tuéni, Une guerre pour les autres, Jean-Claude Lattès, 1985, p. 201

[58] Voir : « La pierre de l’Église » dans « Jérusalem, corps séparé ».

[59] Uri Schneider, reportage censé illustrer, dans la perspective d’Arte infos, la visite de Benjamin Netanyahou à Paris, le 24 juin 2009, Arte infos, 24 juin 2009.

[60] Emmanuel Ratier, Journal de ré-information, Radio Courtoisie, 9 mai 2008. À l’existence d’Israël, la ré-information de Radio Courtoisie impute en vrac : « La déstabilisation de la Jordanie, la désagrégation du Liban mis à genoux par une guerre civile entre Palestiniens réfugiés et autochtones, la création du Hezbollah, la paupérisation et le délabrement moral du peuple palestinien et, surtout, la radicalisation, voire la haine du monde musulman et du monde arabe contre les pays développés, en particulier les États-Unis et l’Europe ». Nouveau concept ou lapsus : dans la foulée de son propos, pensant peut-être désigner le Hamas parmi « les groupes qui ne reconnaissent pas l’existence d’Israël », Emmanuel Ratier évoque « les groupes qui ne se reconnaissent pas dans l’existence d’Israël ». 

[61] L’écrivain libanais Elias Khoury dessine une Galilée débordant sur le sud Liban dans « Guerres », une chronique dans laquelle, se souvenant du temps où il avait vingt ans en 1968, il écrit : « Nous avons répandu notre jeunesse dans les villages du Sud (Liban), irriguant les oliviers de la Galilée libanaise avec le sang des jeunes de la Galilée palestinienne » (cf. « Guerres », Revue d’études palestiniennes, n° 101, automne 2006, p. 96-97).

[62] Cf. « Hébron (El Khalîl) » in Israël Cisjordanie Gaza Golan, Guides bleus Hachette, 2000, p. 562. Cette « Judée palestinienne » n’est pas un manque de connaissance des lieux par l'éditeur. Le Guide bleu présente en effet Hébron dans le chapitre « Cisjordanie Gaza » introduit par Jean-François Legrain, chercheur français parfaitement au fait du conflit et peu suspect d’oublier sa composante palestinienne.

[63] Régis Debray, Un candide... op.cit., p. 15.

[64] Gabriel Matzneff, Le Carnet arabe, La Table ronde, 1971, p. 12. Matzneff raconte qu'il est « l'invité du gouvernement de sa majesté le roi Hussein » (p. 14-15) pour la première étape du voyage très catholique et très romain (au sens dégagé d'Edom) qu'il effectue en 1970 et qui suscitera, l'année suivante, le très violent Carnet arabe, dans lequel il explique notamment que « Dieu est un réfugié palestinien » (p. 18) dans un monde arabe en lutte contre « le poison occidental que distille le sionisme » (p. 26), quand bien même, en 1970, année de

« Septembre noir », le réfugié palestinien que divinise Matzneff, ou le Dieu qu'il palestinise, devaient penser que le roi Hussein ne leur offrait pas un calice plus agréable à boire que le soi-disant poison occidental. Le Matzneff de 1970 partage avec le Debray de 2010 le sentiment que le destin abrahamique de la « Terre sainte » (l'un et l'autre évoquent ce terme étranger aux écritures avec une majuscule à Terre) a été contrarié par celui de Jacob (Sur ce point, voir : « Le testament de Jacob » dans les pages Qods Kadosh Caduque). Gabriel Matzneff partage en outre, un soir de 1970 à Amman, ses sentiments sur le sionisme avec Philippe de Saint-Robert, l'un des piliers de la méchante Radio Courtoisie souvent citée ici, inoubliable hôte d'Alain Ménargues, alors directeur de l'information de RFI, lors de l'émission du 12 octobre 2004 restée célèbre pour les propos de Ménargues sur le livre du Lévitique.