Un nom, trois orthographes : les trois orthographes Qana, Kana et Cana correspondent aux trois transcriptions du nom, selon qu’il vient de l’arabe, de l’hébreu ou du grec. Trois orthographes et deux sites : un Cana (grec neutre) est en Israël, un autre Cana (grec neutre) est au Liban. L’écriture médiatique et militante confond les deux villes - l’une israélienne, l’autre libanaise - et évoque frénétiquement l’un des premiers miracles attribués par le Nouveau Testament à Jésus lorsque, dans la guerre livrée par le Hezbollah à Israël, le Qana libanais est touché.
Le nom transformé en levain
Dès le drame qui toucha le village libanais de Qana et sa population en 1996, l’écriture palestinienne de l’histoire a mesuré le potentiel émotionnel du nom. Jouer sur la confusion entre le Qana libanais et le Cana du Nouveau Testament permettrait de faire appel à Jésus et, dans les lieux extrêmes, au « déicide » qui se profile derrière tout acte israélien : « On ne croit plus aux miracles à Qana », pouvait-on lire dès 1997 sur les sites les plus anti-israéliens du moment, dans ce qui était présenté comme le « récit d'une visite », publié sur au moins trois sites militants en français ou en anglais et lisible encore en juillet-août 2006, lors de nouveaux bombardements israéliens sur le Qana libanais une nouvelle fois utilisé comme bouclier par les troupes chiites du Hezbollah[1].
L'évocation du miracle ne relève pas ici de l'accroche journalistique ou du transfert poétique. Elle se veut emprise : « Qana, lieu du premier miracle du Christ ; Qana, lieu du dernier haut fait de l'armée israélienne le 18 avril 1996 », affirme en effet l’auteur de ce « récit » dans une opposition très marquée par l’antinomie chrétienne pour dénoncer ce qu’elle appelle encore « le calvaire de Qana », « le massacre de cent civils, principalement vieillards, femmes et enfants réfugiés dans un site de la FINUL (...) », « massacre volontaire de civils ayant pourtant cherché la protection de la force d'interposition internationale présente sur place ».
Nous distinguons ici les faits qui se sont déroulés à Qana (Liban Sud) en 1996 et 2006, d’une part, de leur invocation par le militantisme anti-israélien sous le nom de Cana depuis 1996 et encore aujourd’hui, d’autre part. Pour ce qui est des faits et de leur éventuelle qualification juridique, nous renvoyons notre lecteur aux rapports qui ont été diligentés très tôt par, notamment, le Secrétaire général de l’ONU, alors Boutros Boutros-Ghali, et Amnesty international, mettant en lumière les positions opposées du Hezbollah et de l’armée israélienne concernant l’usage fait par le premier des bâtiments évacués par l’ONU et les explications fournies par Israël invoquant à la fois l’erreur de tirs, la présence de positions du Hezbollah à proximité des bâtiments présumés vides de l’ONU, l’ignorance que des civils libanais avaient investi lesdits bâtiments[2].
C’est la confusion qui seule nous retient ici, confusion entretenue - souvent à dessein - par l’écriture médiatique et militante de l’histoire entre :
- Qana-Liban-Hezbollah, terrain de combats entre le mouvement libanais et l'armée israélienne ; et
- Cana-Galilée-Jésus, lieu du premier miracle dans la tradition chrétienne.
Quelle que soit l’orthographe choisie (Cana dominant néanmoins les dépêches et analyses), c’est en effet au Cana de Jésus que se réfère le récit concernant le Qana du Hezbollah, et ce déplacement mérite en lui-même l’attention :
« Qana, près de deux mille ans après ses célèbres noces, est loin de ressembler à un tableau de Véronèse », insiste le récit militant, qui ajoute que « cet illustre village » est « situé dans une région très pauvre du Sud Liban, au cœur de terres arides et cependant ô combien convoitées ».
L’Encyclopédie en ligne Wikipédia place également le Cana de Jésus au sud Liban. Tout en indiquant les coordonnées topographiques précises du Qana libanais (33° 12' 33" N 35° 17' 57" E), l’encyclopédie écrit : « D'après la Bible, c'est là qu'eut lieu le miracle de Cana, où Jésus changea l'eau en vin lors d'une cérémonie de mariage. Un autre village du même nom lui conteste le fait d'être le lieu présent dans le récit biblique[3] ».
Un transfert identique est opéré en 1979 par le prêtre roumain Virgil Gheorghiu, auteur de La vingt-cinquième heure qui, dans un livre de combat appelé Christ au Liban, sous-titré de Moïse aux Palestiniens, ne fait rien moins que déplacer le Cana chrétien de Galilée sur le Qana libanais : « Le premier miracle que le Christ accomplit sur terre fut le miracle de Cana en Galilée. Cana s'appelle aujourd'hui Qana el Jalil et se trouve près de Tyr », indique l'homme d'Eglise en transposant ainsi naturellement Tyr près du Lac de Tibériade[4].
Or, le Cana du Nouveau Testament auquel voudrait pouvoir se référer l’écriture palestinienne de l’histoire lorsqu’elle se sert du Qana libanais est aujourd’hui en territoire israélien sur la route entre Nazareth et Tibériade. Il est appelé Kafr Kana (parfois Kafr Kannâ ou Kfar Kannâ)[5].
La confusion entre la Galilée et le Liban dans la localisation du Cana de la tradition chrétienne n’a aucun fondement littéraire ou biblique. Si en effet, selon Matthieu et Marc, Jésus se serait rendu à une occasion à Tyr et Saïda (Mt 15,21 ; Mc 7,24 et 31), le Cana des noces est très clairement situé en Galilée dans le texte source lui-même : « Cana de Galilée », écrit Jean, le seul narrateur du miracle qui vit l’eau devenir vin, dès les premières lignes de son récit (Jn 2,1-11), « Cana en Galilée » confirme-t-il plus loin à propos de Nathanaël (Jn 21,2) qui en est originaire ; « Cana en Galilée », reprend Diogène de Laërce pour raconter à son tour l’histoire du vin qui a « failli », écrit-il[6]. Sans doute le nom Galilée a-t-il, aux divers temps du récit biblique, couvert diverses régions, allant parfois jusqu’à Saïda, mais deux « Cana » se distinguent clairement selon que l’on lit le récit hébraïque (ou « Ancien Testament » en termes chrétiens) et le récit chrétien du Nouveau Testament.
Du Dictionnaire de la Bible (catholique) qui place le site du Nouveau Testament « à sept kilomètres au nord-est de Nazareth (...) dans l’actuel village de Kfar-Kannâ, sur la route qui mène à Tibériade[7] » au Guide Bleu qui indique que « Kafr Kanna (est situé) à huit kilomètres de Nazareth sur la route de Tibériade[8] », en passant par l’exégète Jean Grosjean qui arrondit à « une dizaine de kilomètres au nord de Nazareth[9] », les sources se recoupent pour laisser en Galilée au sens strict le « Cana de Galilée » dont parle l’évangile de Jean et ainsi exclure le Qana libanais de la tradition chrétienne.
Situé pour sa part au sud-est de Tyr, à environ cinquante kilomètres au nord-ouest du Cana néotestamentaire, le Qana libanais n’a rien à voir avec Jésus ou Véronèse. Étranger au Nouveau Testament, le Qana libanais est en revanche mentionné dans la Bible hébraïque, et ce serait alors ironiquement à un autre titre (un titre juif, hébreu en tout cas) que le militantisme anti-israélien devrait se résoudre à le qualifier d’ « illustre » : le Qana libanais est en effet l’un des villages du territoire de la tribu d’Asher, fils de Jacob et Zilpa, servante de Léa, territoire qui s’étendait jusqu’à Sidon (Saïda) lors de la conquête de Canaan[10].
L'intrusion du Cana chrétien dans le récit médiatique et militant doit encore écarter l'aversion que pourrait avoir aujourd'hui le Liban Sud entre les mains du chiisme fondamentaliste du Hezbollah d'un miracle qui consisterait à transformer de l’eau en vin. Pour pouvoir omettre ce souci de cohérence, transformer Cana en Golgotha (« le calvaire de Qana », dit en effet aussi le récit militant), une lecture a posteriori est imposée à l’histoire : le vin est déjà sang, la noce est déjà la passion et, de Jésus à Cana, le militantisme anti-juif ne conserve que l'image anachronique d'un dieu (anachronique car Jésus ne devient dieu que bien plus tard dans le christianisme) assassiné par Israël. S'il n'est pas exclu que le récit johannique du miracle de Cana pèche lui-même par anti-judaïsme précoce (Jésus se sert en effet très précisément de l'eau des jarres destinée à la purification par « les juifs », pour le dire comme Jean, à une époque où les rites mosaïques étaient déjà déconsidérés, voire méprisés[11]), le militantisme évangélique sait pour sa part que l'écriture médiatique et militante ne lui tiendra pas grief des libertés qu'elle prendrait avec la lettre, le temps, la cohérence.
Un symbole oecuménique
Qu’elle soit le fait d’une connaissance approximative de la géographie biblique ou d’une agression volontaire, la faute qui consiste à déplacer le Cana du Nouveau Testament de la Galilée aujourd’hui israélienne au Liban Sud entre les mains du Hezbollah, nous conduit à observer un rapprochement entre militantisme de gauche et militantisme de droite dans leur aversion commune du sionisme et d’Israël d’une part, dans leur absence de rigueur d’autre part, – ce qui n’est peut-être d’ailleurs pas une « autre part »[12].
Dans le cadre de la guerre déclenchée contre Israël par le Hezbollah en juillet 2006 – « après que le Hezbollah eut attaqué Israël au cours de l'été », dit en effet l'écrivain Amos Oz, figure israélienne du « camp de la paix » respectée dans les milieux militants palestiniens[13] – , la même référence aux noces du Nouveau Testament pour dénoncer les bombardements israéliens contre le village libanais de Qana devait être proposée en effet sur la station Radio Courtoisie par un de ses dirigeants, Henry de Lesquen, par ailleurs président du très conservateur Club de l’Horloge.
Souhaitant très précisément poser la question du conflit israélo-palestinien et israélo-libanais en termes de « droit d’être là », une expression sur laquelle travaille aussi l’historien palestinien Elias Sanbar[14], Henry de Lesquen évoqua les noces chrétiennes au détours de son propos. À ses interlocuteurs qui observaient qu’Israël était, dans la guerre de l’été 2006, en position de riposte à une attaque, et l’affirmaient par ailleurs légitimé à se défendre contre le Hezbollah soutenu notamment par l’Iran dont le chef de l’Etat évoquait alors depuis plusieurs mois son souci de voir Israël rayé de la carte, le président du Club de l’Horloge opposait la disproportion de la réplique d’Israël qui avait, selon ses termes, « détruit un pays pour récupérer deux soldats (...) ; tué beaucoup de civils, d’hommes, de femmes et d’enfants, et pas seulement à Cana, où ce n’étaient pas les noces » ; puis, devant la persistance de ses interlocuteurs au demeurant peu engagés aux côtés d’Israël (biblique ou étatique), à le légitimer néanmoins dans sa défense d’août 2006 contre le Hezbollah et à invoquer sa survie en tant qu’Etat, il concluait : « les Palestiniens et les Libanais estiment avoir autant le droit que les Israéliens d’être là [15] ».
Le là n’est pas sans révéler la confusion des deux évocateurs des Noces de Cana sur la présence même d’Israël dans la région. L'improbable boutade qui voudrait que les habitants de Qana n'étaient pas à la noce (de Cana) dans la nuit du bombardement israélien et dans la bouche du dirigeant de Radio Courtoisie ne peut être assortie à une référence géographique prétendant en outre faire référence aux divers « droits d'être là ».
Car la différence entre « le droit d’être à Nazareth » et « le droit être à Tyr » n’est pas moindre historiquement, politiquement, juridiquement. Or, le récit des événements de 1996 qui – par ignorance ou rhétorique militantes – place le Cana des Noces sur le Qana libanais et le dit en même temps dans des terres « ô combien convoités », d'une part, et celui de 2006 qui évoque le droit parallèle ou concurrent (« autant ») des Libanais et des Palestiniens « d’être là » (à Qana ? à Cana ?), d'autre part, ces deux récits se font écho. A dix ans de distance (et, suppose-t-on, à des lieues de pensées communes entre une militante de gauche sur un site comme celui d’Al-Oufok et un militant de droite sur une station comme Radio Courtoisie), ils se rejoignent dans les confusions successives qu’ils mettent en place : la première (volontaire ou non) entre le Qana du Hezbollah et le Cana de Jésus implique la suivante entre le sud-Liban (Liban) et la Galilée (Israël), puis une troisième qui voudrait que le Kana israélien soit encore l’objet de convoitises comme la terre d’Israël elle-même, devenue Palestine puis à nouveau en partie Israël, avait pu l’être dans le processus de séparation entre un Etat juif (proclamé par le Yishouv le 15 mai 1948) et un Etat arabe (refusé par les Arabes de Palestine et les Etats arabes sur les terres attribuées par l’ONU), une autre encore laissant entendre qu’Israël convoite le Qana libanais et plus largement le sud du Liban pour les eaux du Litani, ajoutant ainsi le néo-colonialisme à l’antisionisme anti-israélien[16].
« Confondre leurs langues »
La confusion entretenue dans notre exemple par le militantisme palestinien de gauche et de droite alimente encore plusieurs débats autour des bombardements du Qana islamiste en août 2006 dans lesquels le militantisme chrétien pense, à son tour, trouver intérêt.
Sur les mêmes ondes de Radio Courtoisie, en effet, une fois posé que juifs et musulmans ne connaissent pas le concept de pardon (attribué à la seule religion de Jésus dans cette perspective) et qu’Israël ne respecte même plus « sa loi du talion »[17], le symbole Cana est perçu comme susceptible de sortir l’humanité aimante de l’ornière égoïste. Quand le Qana libanais en effet y est revendiqué à tort comme « un lieu symbolique de la chrétienté » par un auditeur auquel un second affirme à raison que « le Qana bombardé n’a rien à voir avec celui de Galilée, le Qana du Liban est musulman », les maîtres d’œuvres de la station tranchent dans l’ambiguïté, assurent qu’il y a débat et prétendent donner à la question le sérieux d’une dispute d’exégètes : « Le Qana qui est au Liban est musulman depuis quelques temps mais pas du temps de Jésus, et pour cause », précise ainsi la directrice du quotidien Présent, proche du Front national, dans un créneau radiophonique occupé par des journalistes proches du groupe Minute [18]. « Dans le Qana du Liban, assure Jeanne Smits, il reste des traces et une tradition locale qui indiquent que le miracle a eu lieu là. Cette tradition est quand même importante et il faut la prendre en compte ». « Deux villes se disputent l’honneur (du premier miracle attribué à Jésus par la tradition chrétienne) », voudrait pouvoir résumer l’hôte de l’émission. « Les exégètes pensent plutôt a priori (sic) qu’il s’agit du Kana actuellement situé en terre israélienne », concède un troisième intervenant, lui-même expert en exégèses, « mais toutes ces populations sont de traditions orales, de mémoires, dans lesquelles les mots ont une symbolique », poursuit-il : « Le terme Qana n’est pas choisi au hasard, ce sont des lieux dans lesquels les communautés chrétiennes étaient très installées ».
Si donc le « Qana libanais », « Qana musulman » ou « Qana bombardé », pour reprendre les expressions du débat cité, n’est pas le même que le « Kana actuellement situé en terre israélienne », ils portent néanmoins l’un et l’autre la mémoire du Cana de Jésus, devons-nous entendre avant la conclusion en forme de pirouette elle-même très enveloppante : « Quels que soient la localisation ou le nom du village, ce qui est absolument inadmissible, c’est qu’on ait des victimes innocentes. C’est ça le problème ; pas de savoir si elles sont musulmanes ou chrétiennes ou si c’était le lieu d’un miracle ou pas ». Dans une même vision théologico-géopolitique, les animateurs de Radio Courtoisie plus spécialement chargés des bien nommés journaux quotidiens de réinformation devaient qualifiées de « colonies juives » les villes israéliennes bombardées par le Hamas à l’hiver 2009, impliquant qu’à l’instar de son patron, la station catholique disputait à Sdérot ou Beersheva « le droit d’être là », le droit d’être en Israël, le droit d’être Israël[19].
Cana contre Goliath
Entre le site du Mouvement démocratique arabe dédié à l’intifada, Radio Courtoisie, et l’équipe du journal frontiste Présent, s’insinue encore le quotidien libanais de langue française L’Orient le Jour qui, le 30 juillet 2006, laisse passer une chronique ambiguë, non sur sa franche haine contre Israël, mais sur Qana, le Qana libanais qu’elle écrit « Cana » à la chrétienne, qu’elle dit « nom biblique » et qu’elle crucifie plus que le lieu de l’eau changée en vin ne l’a jamais été.
« Deux fois crucifiée », dit de « Cana » Nagib Aoun dans le titre de sa chronique qui évoque en réalité Qana. Et d'écrire dans un verbe fou : « L’apocalypse en une seule image. Cana la martyre, Cana symbole de toutes les atrocités subies, de toutes les souffrances endurées. Cana, un nom biblique, un nom épelé en lettres de sang, Cana deux fois crucifiée, deux fois suppliciée » [20]. Israël est « barbare », conclut-il, et ce qu’il a « assassiné » est « l’humanité », « les valeurs universelles ». Moins violemment, l’hebdomadaire populaire français VSD, qui se déplace au Sud Liban en août 2006, retient lui aussi la seule Cana, qu’il orthographie à la chrétienne, comme ville martyre dont « les enfants sont massacrés dans la nuit par les bombes
israéliennes »[21].
En même temps, dans les presque mêmes termes, sous le titre « Drame de Cana », également orthographié à la chrétienne, Jean-Marie Colombani, alors directeur du Monde, évoque « les bombes qui broient les enfants de Cana » en miroir avec « la litanie des morts à Gaza »[22]. Si le corps du texte précise étrangement la localisation géographique du lieu bombardé en estimant que « le drame injustifiable de Cana, au Liban, a au moins permis à (la communauté internationale) de commencer de se faire entendre », c'est peut-être parce que le quotidien a conscience de l'ambivalence qu'il met en lumière en orthographiant Qana Cana, une ambivalence que son dessinateur Serguei avait écrasée d'un coup de botte cinq jours plus tôt en illustrant la guerre d'Israël au Hezbollah d'un cèdre stylisé sur lequel était crucifié un Jésus moustachu, une croix sur le ventre, « broyé » en effet, comme l’écrit Colombani des « enfants de Cana », par une énorme botte ensanglantée dont les lacets dessinaient (car les lacets aussi dessinent) l'étoile de David[23].
Sans confondre Qana et Cana, l’ancien Secrétaire général des Nations unies Boutros Boutros-Ghali, en fonction lors du bombardement de 1996, orthographie lui aussi le village libanais à la chrétienne. Le « bombardement de Cana » ou « massacre de civils dans un bâtiment de l’ONU à Cana », comme il l’écrit, forment le cadre de ce qu’il appelle « (sa) dernière grande bataille avec l’administration Clinton sur un problème de fond », Boutros-Ghali assurant avoir pris, à l’occasion, la décision (de fond ?) de publier un rapport concluant à la responsabilité d’Israël[24]. Or, le rapport en question ne conclut pas à la responsabilité d’Israël dans ce qui serait, en soi, un bombardement contre les bâtiments de l’ONU ou un « massacre de civils dans un bâtiment de l’ONU », comme le laisse entendre les mémoires de Boutros-Ghali ; il pose qu’Israël connaissait l’emplacement des bâtiments, ce qui n’était pas la question et n’était au demeurant pas contesté, et que l’erreur de tir ou de procédure était improbable. Comme nous l’avons rappelé déjà, la question, en effet, se situait en amont, les forces du Hezbollah ayant pris position aux côtés du bâtiment de l’ONU, évacué en surface par les soldats onusiens qui avaient rejoints les abris, donc présumé vide par l’armée israélienne[25].
Dans leurs rapports, l’ONU comme Amnesty international écrivent Qana dans les versions anglaises et Cana dans les versions françaises, résumant à une simple convention orthographique la transcription d’un même nom pour un même lieu. Or, l’origine des transcriptions différentes vient des langues sources des récits concernant le Qana d’Asher et le Cana de Jésus. Le Qana d’Asher (aujourd’hui libanais) apparaît dans l’histoire du récit biblique en hébreu dans le livre de Josué et le Cana de Jésus (aujourd’hui israélien) y apparaît en grec dans celui de Jean. L’anglais biblique ne répond ainsi pas aux mêmes critères que l’anglais de l’ONU ou d’Amnesty. « Cana » n’y note pas la francisation mais l’hellénisme ; la King Version et l’American Standard distinguent en effet le texte de Josué de celui de Jean en écrivant respectivement Kanah (transcription qui dit la source hébraïque) et Cana (transcription qui dit la source grecque). Le respect des origines textuelles se lit également dans les versions françaises de la Bible hébraïque et du Nouveau Testament, qui transcrivent ainsi Qana (ou Kana) et Cana selon les textes traduits[26].
Les noces universelles
Résumons les étapes du récit, dont on rappelle qu’il est tenu tantôt dans des espaces très à gauche, sur des sites propalestiniens et de soutien à l’intifada proches de l’islam militant, tantôt dans des espaces très à droite et très catholiques proches de l’extrême droite militante, et encore dans les journaux libanais de référence : « Plus de miracles à Qana » (aloufok) ; « Qana n’est pas à la noce » (Club de l’Horloge) ; le village bombardé est « un lieu symbolique de la chrétienté » (Radio Courtoisie) ; que le Qana libanais soit ou non le Cana de Jésus, « le nom est un symbole chrétien » (militantisme catholique), « un nom biblique », une ville « martyre deux fois crucifiée » (L’Orient le Jour) : les exégètes débattent mais, quelle que soit la localisation historique exacte du Cana de la tradition chrétienne, ce qui compte c’est qu’Israël a bombardé un lieu dit Qana et y a fait « des victimes innocentes », victimes « musulmanes ou chrétiennes » peu importe car, dans la perspective de qui veut confondre Qana et Cana, Kana (ville arabe israélienne, à majorité musulmane) n’a en effet pas d’importance. Comme n’a pas d’importance la responsabilité du Liban dans la maîtrise de la totalité du territoire sur lequel il est censé exercer sa souveraineté d’Etat : « Ce pays qui n’en peut mais », assurait la directrice de Présent en introduction, évacuant d’emblée toute réflexion sur le rôle que le Liban accepte de jouer lui-même et de laisser jouer aux Palestiniens de 1971 à 1982, au Hezbollah de 1982 à 2006 et aujourd’hui encore, dans les agressions commises à partir de chez lui contre Israël.
Le « peu importe » final, le « vrai problème » banal, viennent ainsi dire combien tout est fabriqué dans ce récit. Des notes les plus érudites qu’on trouve dans les éditions du Nouveau Testament aux trajets suggérés dans le Guide bleu, nous l’avons observé, la documentation la plus accessible à chacun d’entre nous interdit en effet de penser qu’il y a doute ou débat d’experts sur la localisation du Cana des noces qui sert donc ici clairement à l’islam et au christianisme, à la gauche et à la droite, à la cause palestinienne et à la cause chrétienne fondamentaliste de prétexte pour, tel un Goliath universel, harceler Israël.
S’il y a bien deux sites qui revendiquent le patrimoine religieux et culturel des noces de Cana, les deux sont en Galilée, proches l’un de l’autre et de Nazareth, les deux en terre « actuellement israélienne » et en même temps les deux arabes, au sens de « arabes israéliens » : Khirbet Qana (à 14 kilomètres de Nazareth) a eu longtemps les faveurs des archéologues, Kafr Kannâ (à 7 kilomètres de Nazareth) l’a emporté ensuite mais les traces de la rivalité restent[27]. Le Qana libanais (à 50 kilomètres de Nazareth) est ainsi un troisième site qui n’a jamais été considéré par personne comme le lieu des noces – « et pour cause », pourrait interjeter la journaliste précitée qui assurait qu’il était « musulman depuis quelques temps mais pas du temps de Jésus » – puisque, nous l’avons noté brièvement plus haut, le Qana libanais est ironiquement le seul à être « juif » : c’est le Qana d’Asher.
L’archéologie biblique distingue clairement les deux lieux et les deux temps : le Cana de Galilée n’apparaît pas dans la Bible hébraïque ou « Ancien Testament », le Qana d’Asher n’apparaît pas dans la Bible chrétienne ou « Nouveau Testament ». Les ouvrages ou atlas qui présentent des cartes de « La Palestine de l’Ancien Testament » et de « La Palestine du Nouveau Testament » (étant entendu que le mot Testament pour distinguer les écritures chrétiennes des écritures juives est une création patristique, et que le nom
Palestine est anachronique pour les deux périodes concernées[28]) suivent la lettre du texte biblique : Qana figure sur les premières au sud-est de Tyr comme ville de la tribu d’Asher qui montait alors jusqu’à Sidon et aucune mention de Cana (pas plus que de Nazareth d’ailleurs) ne figure autour du lac dit alors de Kinneret faisant partie du territoire de la tribu de Nephtali ; Cana figure en revanche sur les secondes à côté de Nazareth, près du même lac devenu de Galilée, et Qana n’a plus lieu d’être mentionné dans la « Syro-Phénicie » extérieure à la géographie du Nouveau Testament[29]. Il est même probable que, pour un juif de la fin du premier siècle chrétien comme l’était Jean, l’expression « Cana de Galilée » serve précisément à distinguer le lieu du miracle attribué à Jésus du lieu du village de la tribu d’Asher, encore présent à son esprit. L’assertion selon laquelle les populations chrétiennes (« de traditions orales et de mémoires ») auraient habité les lieux et donné le nom de Cana à Qana en hommage au miracle, cette assertion doit ainsi écarter activement la Bible hébraïque qui indique que Qana existait avant Cana et que, si mémoire ou référence il devait y avoir, c’est davantage en mémoire et référence au Qana d’Asher qu'on nomma le Cana de Jésus que le contraire, – cela posé sans même recourir à d’autres homophonies qui veulent que le mot hébreu qana signifie aussi « jaloux » et le verbe arabe kanâ « être »…[30].
La loi du nom
La topographie et la toponymie modernes suivent l’archéologie biblique dans les limites de la Palestine mandataire, objet du plan de partage de l’ONU de 1947. Le Qana d’Asher devenu libanais est naturellement ignoré dans le partage. Le site néotestamentaire de Cana est en revanche considéré et il fait initialement partie du territoire attribué au virtuel et potentiel Etat arabe qui devait prendre corps dans l’ancienne Palestine mandataire selon le plan de partage des Nations unies de 1947, mais fut refusé par les Etats arabes et les Arabes de Palestine. Cana fut conquis par Israël durant la guerre d’indépendance de 1948-1949 et on le voit ainsi sur les cartes avec l'orthographe Kana. Sauf à contester l’existence même d’Israël dans les frontières de 1967 (qui plus est dans celles de 1949), le site légendaire de Cana n’est donc aucunement situé sur une portion de terre aujourd’hui disputée.
La confusion entretenue permet aux auteurs des récits étudiés ici de jouer sur de multiples registres : en même temps qu’ils mettent en doute l’appartenance actuelle de la Galilée à Israël – se plaçant ainsi dans la perspective du Hezbollah et du Hamas qui contestent en bloc la résolution 181 de 1947, la proclamation de l’Etat d’Israël en 1948, les Accords de Rhodes de 1949, la réalité politique et juridique internationale d’Israël depuis, les négociations officielles entre Israël et l’Autorité palestinienne à partir de 1993 –, ils peuvent jouer sur l’expansionnisme présumé d’Israël qui convoiterait le Liban Sud, voire revendiquerait comme sien ce territoire.
Le nom Cana attise tant les passions qu’il n’est même plus besoin de prononcer le mot « noces » ou d’évoquer un « symbole du christianisme » pour y voir la trace du prétendu complot juif contre Jésus, puis du prétendu complot américano-sioniste contre le Liban et « la Palestine », connu dans les milieux anti-israéliens comme « le plan Kissinger »[31]. En septembre 2006, l’avocat libanais Elie Hatem, proche de Jean-Marie Le Pen dont il avait organisé un périple au Liban en décembre 2002, devait évoquer « le génocide de la ville de Qana » d’avril 1996 pour fustiger les propos tenus en février 2000 par Lionel Jospin à l’Université de Bir Zeit sur le caractère terroriste du Hezbollah[32].
Volontairement ou non, l’avocat libanais reprenait ainsi, pour Qana, la terminologie que le patron du Front national avait lui-même utilisée pour le peuple palestinien en annonçant sa visite à Qana en même temps qu’il dénonçait « l’hégémonie américano-sioniste sur le monde, dont le peuple palestinien, victime d’un génocide, paie le prix à travers le silence des Etats-Unis, de l’Europe et du monde arabe[33] ».
L’ambiguïté des propos d’Elie Hatem et de Jean-Marie Le Pen lorsqu'ils évoquent, l'un « le génocide de Qana », l'autre « un génocide du peuple Palestinien », est de divers ordres. En sa qualité de « docteur en droit international et constitutionnel », affichée sur le site du cabinet parisien auquel il est attaché, le premier sait que certains actes commis à Qana en 1996 et 2006 par le Hezbollah (notamment l'utilisation de civils comme boucliers humains, l'emplacement de positions de tirs proches de lieux habités par les civils) ou par Israël (bombardement de lieux habités par des civils) peuvent, le cas échéant, au terme d’une enquête judiciaire, être qualifiés en droit de crimes de guerre, mais en aucun cas de génocide. Il peut jouer sur l'ambiguïté Qana / Cana, mais pas sur les éléments constitutifs du crime de génocide. A l'inverse, le terme « génocide » utilisé par Jean-Marie Le Pen dans le cadre d’un voyage prévu à Qana – qu'il n'associe pas, semble-t-il, au site de Cana – l’est dans un contexte exclusivement "palestinien" au sens militant qui dépasse le territoire visité et toutes préoccupations d'ordre juridique.
[1] Lucie Heymann, « 18 Avril 1996 : Massacre à Qana … », (cf. <libanvision.com/memoire.htm> ; <ourworld.compuserve.com/homepages/ckastoun/qana.htm#RecitLucie> ; <aloufok.net/article. php3?id_article=1171>). Publié notamment sur « Al-Oufok, site du mouvement démocratique arabe, dédié à l’intifada », cet article restait en tête des entrées signalées lors de l’interrogation « Qana » sur Google en août 2006.
[2] Cf. Rapports du Secrétaire général de l’ONU du 7 mai 2006 (Doc. ONU S/1996/337) et d’Amnesty international du 24 juillet 1996, publiés sur les sites respectifs des deux organisations. La version française des deux rapports, comme les Mémoires de Boutros Boutros-Ghali, évoquent les bombardements de Cana et mettent en doute les thèses israéliennes (cf. « Un poids, une mesure » dans « La Palestine universelle »). Le lecteur soucieux d’une information moins strictement palestinienne (au sens universel dégagé dans notre étude), trouvera dans les médias israéliens les plus critiques de la politique de leur pays et les voix israéliennes les plus représentatives des « nouveaux historiens » reconnus par les médias européens en raison de leur mise en cause de l’historiographie israélienne officielle, indiquent que les bombardements du 18 avril 1996 « s’écrasèrent accidentellement sur un camp de l’ONU (...), les Katyusha provenant d’un point situé à deux ou trois cents mètres de là » (Benny Morris, Victimes, op. cit., p. 690). Pour ce qui est du refuge que les habitants de Qana avaient trouvé dans les bâtiments de la FINUL, une fois admis que ces bâtiments n’étaient eux-mêmes pas visés en tant que tels par l'armée israélienne, et observé que le Hezbollah s’était stratégiquement positionné à proximité de la FINUL, Benny Morris indique : « Le personnel des Nations unies avait pris place à l’intérieur des abris souterrains, mais en surface se trouvaient des centaines de villageois qui s’étaient réfugiés dans le camp à l’insu des Israéliens. Un très grand nombre d’entre eux, peut-être une centaine, périrent dans ce bombardement et des dizaines d’autres furent grièvement blessés (Ha’aretz et New York Times, 19 avril 1996) ».
[3] Cf. www.wikipedia.org, « Cana » (septembre 2006). On rappelle que, selon les propres termes de ses responsables, « personne ne garantit la validité, l'exactitude, l'exhaustivité ou la pertinence des informations contenues dans Wikipédia », qui fonctionne comme un forum ouvert, sujet à un auto-» contrôle collectif », chacun étant libre des informations communiquées, les internautes se corrigeant les uns les autres. A la date de la consultation, aucun correctif ne mentionnait l’erreur de localisation et le site renvoyait indistinctement aux trois liens suivants : « Noces de Cana », « Massacre de Cana de 1996», « Massacre de Cana de 2006 ».
[4] Vrigil Gheorghiu, Christ au Liban. De Moïse aux Palestiniens, Plon, 1979, p. 43. L'auteur précise que « Le Christ y arriva à pied en venant de Palestine ».
[5] Nous verrons plus loin qu’un autre lieu de Galilée, très proche de Kafr Kana et appelé Khirbet Qana, est aussi considéré comme site historique du Cana de Jésus sans pour autant être confondu ou susceptible de l'être avec le Qana proche de Tyr, éloigné pour sa part de 50 km des deux autres. Dans les lignes qui suivent nous distinguons les trois sites en écrivant Qana pour le village libanais comme le veut généralement la transcription de l'arabe, Cana pour le site des noces tel qu'il est orthographié dans les écrits d'origine chrétienne qui traduisent à partir du grec, et Kana pour le village israélien situé près du précédent, comme le mentionne la topographie israélienne depuis 1949.
[6] Cité par Chantal Labre, Dictionnaire biblique : culturel et littéraire, Armand Colin, 2002, p. 56.
[7] André-Marie Gérard, Dictionnaire de la Bible, Laffont Bouquins, 1989, p. 179.
[8] Le Guide bleu, Hachette, 2000, p. 220.
[9] Jean Grosjean, traducteur du « selon Jean » pour La Pléiade, op. cit., note sous Jn 2,1.
[10] Josué 19,28.
[11] Catherine Chalier, Le Monde des religions, janvier-février 2004, p. 54-55.
[12] Voir plus haut : « Le verbe emprunté ».
[13] Cf. Amos Oz, « Pas de trêve, une paix définitive », Libération, 29 novembre 2006, p. 27. Si, comme beaucoup, Amos Oz estime que l'opération israélienne de l'été 2006 contre le Hezbollah aurait dû être « courte et limitée », il n'en respecte pas moins la chronologie, la causalité et, eût-elle été courte et limitée, la légitimité.
[14] Cf. Elias Sanbar, Figures du Palestinien. Identité des origines, identité de devenir, Gallimard, 2004 : « Le combattant, par les armes, l’historien, par les mots, sont requis pour établir la négation du droit d’Israël et des Israéliens à se trouver là, c’est-à-dire à la place de la Palestine et des Palestiniens » (p. 219). L’ambiguïté du discours palestinien se trouve dans cette proposition, que Sanbar présente comme un déni, un « déni compréhensible », mais qu’il alimente lui-même par des va-et-vient historiques que nous allons examiner dans le chapitre dont il nous a inspiré le titre : « L’histoire requise ».
[15] Henry de Lesquen, alors vice-président de Radio Courtoisie, entretien avec Alexandre Varaut et Alain Grioteray, Le libre journal de Jean Ferré, 14 août 2006. Le militantisme anti-israélien de de Lesquen était trahi par une autre observation, inspirée de la francophonie. Aux yeux du président du Club de l’Horloge qui évoquait là un argument militant fameux mais inconsistant en droit, la résolution 242 du Conseil de sécurité de l’ONU ne disait en effet pas la même chose selon qu’on la lisait dans sa version française ( « retrait des territoires ») ou anglaise (« retrait de territoires » ; « withdrowal from territories »), et il concluait de cette affirmation erronée : « Évidemment, Israël préférait la version anglaise et disait qu’il fallait laisser le français de côté » (entretien avec Albert Salon, ibid.). La prétendue ambiguïté de la résolution 242 ne peut être soutenue en droit comme l’a parfaitement démontré le professeur Prosper Weil qui a expliqué que les versions anglaise et française se rejoignaient dans la volonté unanime des rédacteurs de la résolution 242 de ne pas préciser les (ou the) et encore moins tous les (all the) territoires (voir : « 181 / 242, résolutions miroirs »).
[16] Il est probable que le spectre d'un Israël qui voudrait occuper le Liban jusqu'au Litani pour un éventuel partage des eaux et/ou pour s'assurer une zone de sécurité sur sa frontière nord anime davantage l'écriture médiatique et militante que les relations plus heureuses entretenues entre le roi de Tyr et celui de Jérusalem lors de la construction du Temple de Salomon. L'histoire biblique retient en effet que David et Hiram étaient « amis » et que Salomon, chargé par son père de construire la maison de Dieu à Jérusalem, négocia avec le roi de Tyr son aide pour cette tâche. Il lui offrit notamment « vingt villes de la province de Galilée » (alors partagée entre les tribus d'Asher et Nephtali) dont le roi de Tyr estima amicalement qu'elles ne valaient rien (cf. IR 9,11-13 et Flavius Josèphe, AJ, 8,2).
[17] La droite et la gauche militantes se rejoignent dans l’usage erroné qu’elles font, dans leur dénonciation d’Israël, de deux thèses très inspirées par la christianisme premier, celle qui consiste à prétendre que le judaïsme ne connait pas le pardon, et celle, plus connue, qui attribue au judaïsme la loi du talion, qui est babylonienne et antérieure aux patriarches bibliques. Ces deux idées sont réfutées dans notre chapitre « Le sermon sur la montagne » (voir notamment : « Le faux prochain » et « L’œil et la joue »).
[18] Entretien entre Jeanne Smits, directrice de la rédaction de Présent ; David Mascré, secrétaire général de l’Association des Amis de l’abbé Jean Carmignac ; Daniel Hamiche, journaliste à L’Homme nouveau, animateur sur Radio Courtoisie, Le libre journal de Serge de Beketch, Radio Courtoisie, 16 août 2006. L’espace radiophonique de Serge de Beketch, lui-même ancien journaliste de l'hebdomadaire d'extrême droite Minute et rédacteur du périodique La France Courtoise, décédé un an plus tard, accueillait mensuellement « La Réplique », une émission animée par la directrice de Présent et son fondateur Bernard Antony, activiste de la droite frontiste française (AGRIF, Chrétienté-solidarité, Université du Front national).
[19] Journal de réinformation, Radio Courtoisie, 5 janvier 2009.
[20] L’Orient le Jour, 30 juillet 2006. La chronique a fait le tour des sites anti-israéliens où elle était encore lisible en novembre 2006, chaque fois avec la référence au quotidien L’Orient-le-Jour, sur le site duquel, en revanche, elle n’est pas référencée (cf. par exemple : palestine.over-blog.net/article-3421425.html ; usa-menace.over-blog.com/categorie-688178.html ; libanisme.canalblog.com/ archives/2006/07/index. html ; medioriente.net/?q=libano_cana_due_volte_crocifissa).
[21] Cf. Yann Kerlescan, « Une semaine au Sud Liban auprès des martyrs de Cana et des réfugiés », VSD, 2-8 août 2006, p. 10-11. L’orthographe Cana choisie par l’hebdomadaire est celle de la traduction du Nouveau Testament et place ainsi, consciemment ou non, la légende chrétienne sur les bombes israéliennes, ou le contraire. L’article contient d’autres emprunts littéraires bibliques erronés, notamment lorsque, au motif que la FINUL serait composée de soldats « français, chinois, indiens, ghanéens, irlandais et polonais », il croit pouvoir ou devoir la désigner comme « une tour de Babel militaire érigée au cœur d’un cauchemar » (voir plus loin : « Babel n’est pas métisse »).
[22] Jean-Marie Colombani, « Du fantasme au chaos », Le Monde, 1er août 2006, p. 1-2.
[23] Serguei, Le Monde, 26 juillet 2006, p. 2. Le dessinateur et/ou le quotidien ont estimé devoir titrer le dessin « Mémoire du sacrifice ». Grammaticalement, c'est bien de « le sacrifice » qu'il s'agit. Dans son magazine hebdomadaire du dimanche, le quotidien devait revenir, toujours avec l'orthographe chrétienne et galiléenne du lieu sur « le drame de Cana (qui) marquera l'histoire de l'offensive que Tsahal a déclenchée le 12 juillet contre les fiefs du Hezbollah dans le Liban sud » (cf. Le Monde 2, 5 août 2006, p. 17).
[24] Boutros Boutros-Ghali, Mes années à la maison de verre, Fayard, 1999, p. 423-427.
[25] Cf. Rapports précités et récit du même événement par Benny Morris (note 2 ci-dessus).
[26] En hébreu, le Qana d’Asher s’écrit avec un qof, lui-même distinct du kaf qui ouvre les mots Karmel (et non Carmel) ou Knesset. Quelle que soit la règle de transcription choisie, aucune des versions françaises de la Bible hébraïque que nous citons dans cette étude ne propose « Cana » pour le Qana d’Asher. On lit Kana chez Segond, Qanah chez Dhorme, Qana chez Chouraqui. La Bible de Jérusalem elle-même, traduite et éditée par l’Ecole biblique et archéologique française, institution catholique prompte à dénoncer la tendance israélienne à « lire la Bible comme un cadastre » (voir : « Esplanades » dans « Et moi je vous dis »), distingue elle-même les deux villes en écrivant Qana et Cana.
[27] Une fois rappelé qu’aucune source sérieuse ne considère le Qana libanais comme étant le Cana de Jésus, plusieurs prenant même le soin de rendre leurs lecteurs attentifs au risque de confusion, les exégètes se séparent sur les deux sites proches de Nazareth. Le Dictionnaire de la Bible (catholique) de la collection Laffont/Bouquins (1989, p. 179) fait état de la controverse en indiquant que les modernes s’accordent sur Kafr Kannâ, le plus proche de Nazareth, depuis le XVIIe siècle mais Khirbet Qana garde les faveurs du Dictionnaire encyclopédique Brepols (1987, p. 227) et du Dictionnaire des noms propres de la Bible (DDB, 1978, p. 85-86) notamment, plusieurs sources indiquant les deux lieux sans prendre parti (cf. par exemple : Dictionnaire des mots de la foi chrétienne, Le Cerf, 1968, col. 113-114 ; Dictionnaire archéologique de la Bible, Hazan, 1970, p. 59 ; Dictionnaire biblique universel, Desclée, 1985, p. 100 ; Dictionnaire biblique : culturel et littéraire, Armand Colin, 2002, p. 56).
[28] Voir plus loin les chapitres : « Le coup du testament » et « Le nom Palestine ».
[29] Cf. par exemple Dictionnaire des noms propres de la Bible (Desclée de Brouwer, 1978, hors-texte) ; Bible de Jérusalem, Ecole biblique (catholique) de Jérusalem (Le Cerf, 2000, hors-texte). Un ouvrage universitaire publié par des professeurs au Trinity College de Bristol et à l’Université de Manchester présente également deux cartes différentes selon les deux livres bibliques, l’une qui indique Qana près de Tyr, intitulée : « La répartition du territoire entre les tribus » pour la Bible hébraïque, l’autre qui indique Cana près de Nazareth, légendée : « Lieux importants où Jésus exerça son ministère » pour le Nouveau Testament (cf. Atlas de la Bible, Excelsis, 1997, respectivement p. 35 et 75).
[30] En dépit des improbables questions de priorité que pourrait fabriquer artificiellement l’écriture médiatique et militante, observons que le « Dieu jaloux » de « l’Ancien Testament » pour parler comme on le fait quand on raconte « Cana sous les bombes d’Israël » est en hébreu El qana’ (avec alef en fin de mot). A « jaloux », Chouraqui préfère « ardent » et explique que « “jaloux” perpétue une tradition qui remonte aux LXX (et) qui, malgré sa constance et son emploi généralisé, n’interprète pas correctement le texte. Le verbe qana’ a pour sens premier : “être incandescent, brûler, flamber” ; en arabe : “devenir très rouge” ; par extension “être actif, excité, zélé, envieux” (...) » (note pour Ex 20,5). Le grec des LXX traduit qana’ par zelotès (theòs zelotès) que le latin retranscrit tel quel et, aux premiers siècles avant et après Jésus, les Zélotes sont encore en hébreu les Qana’im. Le son qana est porteur d’autres charges encore en arabe. Le lecteur du Coran peut y trouver une homophonie avec le verbe être ou « verbe de Dieu » selon Si Hazma Boubakeur qui s'écrit kâna à l'infinitif : c'est avec le verbe kâna (« sois ! », « que soit ! », en latin fiat) que Dieu créa le monde, explique Boubakeur dans son commentaire de la sourate 3 (voir : « Le verbe musulman »).
[31] Le « plan Kissinger », du nom de l’ancien conseiller de la Maison-Blanche, aurait pour objet, depuis les présidences Nixon et Carter, de faire éclater les pays qui entourent Israël en plusieurs Etats confessionnels.
[32] Elie Hatem, Le libre journal de François de Sainte-Marie, Radio Courtoisie, 20 septembre 2006. Dans un long délire anti-américain et anti-israélien et des propos viscéralement anti-juifs le conduisant tantôt à désigner le Hezbollah comme « antidote à Israël » (voir plus loin : « ... »), tantôt à évoquer « le grand père rabbin à Salonique » de Nicolas Sarkozy, Elie Hatem devait dénoncer à plusieurs reprises « l’agression américano-israélienne au Liban » (de juillet - août 2006), mentionner ses voyages avec Jean-Marie Le Pen à Beyrouth et avec Janny Le Pen à Bagdad et les contacts secrets qu’il aurait eus alors avec Hans Blix (selon M. Hatem, le chef de la commission d’enquête des Nations unies sur les armes chimiques en Irak les avait informés spécialement, lui-même et Janny Le Pen, du résultat négatif de ses recherches : « Nous le savions mais étions tenus au secret » assure-t-il sur les ondes de Radio Courtoisie). L’opposition qu’Elie Hatem croit devoir mettre en lumière ici entre « le génocide de la ville de Qana » en 1996 et les propos de Lionel Jospin qualifiant quatre ans plus tard le Hezbollah de mouvement terroriste a en réalité un objectif qui rejoint expressément l’évocation du grand-père de Nicolas Sarkozy. L’avocat libanais entend en effet comparer la visite de Nicolas Sarkozy à George Bush, en septembre 2006, aux propos de Lionel Jospin sur le Hezbollah, en 2000. Les deux hommes politiques français, somme-t-il ses auditeurs de comprendre, répondent à des choix dus aux liens finalement peu catholiques que leurs ancêtres ou proches leur feraient avoir avec la géopolitique. Le voyage du ministre français de l’intérieur à Washington « se comprend », assure en effet Elie Hatem, par le fait que « (son) grand père était rabbin à Salonique : Sarkozy a fait une préférence communautaire aux préférences nationales, à l’intérêt de la France » ; puis il ajoute immédiatement : « D’ailleurs, cela s’est passé également avec Lionel Jospin quand il y a eu le génocide de la ville de Qana (et qu’il) avait déclaré d’une manière similaire que le Hezbollah était une organisation terroriste. Il était peut-être influencé par son épouse ». C’est donc bien d’une manière similaire, en raison de liens supposés avec le judaïsme est-européen, qu'aux yeux d’Elie Hatem, avocat international à Paris, Nicolas Sarkozy et Lionel Jospin auraient pris des positions respectivement pro-Bush et anti-Hezbollah.
[33] Jean-Marie Le Pen, al-Hayat, 17 décembre 2002, entretien avec la correspondante d’al-Hayat à Paris cité par RJ Liban, n° 15, 21 décembre 2002 (cf. www.rjliban.com/communique15.htm). On observe que « hégémonie américano-sioniste sur le monde » doit vouloir dire « hégémonie sioniste sur le monde ». Le président du Front national ne saurait en effet désigner les Etats-Unis comme co-auteurs d'un génocide par hégémonie sur le monde, et regretter dans la même phrase que les mêmes Etats-Unis, l'Europe et le monde arabe restent silencieux devant ledit « génocide ».